10 mars 2004
Mon thé n'aura plus jamais le même goût

"De retour à Lhassa. C'est aussi déroutant que déprimant de se balader dans cette ville. On détruit le vieux, l'authentique, le tibétain, et on reconstruit du neuf, du faux tibétain, du tape à l'oeil pour touristes ... Dans un monastère aujourd'hui, j'ai pu me rendre compte que même avec les moines, il ne faut jamais relâcher sa vigilance. Sortir son appareil photo sans autorisation est un délit passible d'une lourde amende. Et certains moines n'en n'ont que l'habit. Des policiers chinois déguisés veillent avec zèle au respect de la loi [...]. Même les souvenirs pittoresques que l'on peut acheter sont faux, et financent exclusivement le gouvernement chinois. A part la rage, il ne faut rien espérer ramener du Tibet. Ici sont jetées depuis longtemps les bases d'une mise en scène destinée à montrer au monde que les tibétains ne sont pas malheureux. Que de toute façon ici, c'est la Chine. Des hôtels modernes commencent à pousser, arrogants. Une insulte de plus a la culture millénaire tibétaine moribonde et à un paysage si beau ... Nul doute que dans quinze ou vingt ans, il ne restera plus grand-chose de ce qui fut le Tibet. La propagande chinoise détruit les vestiges de culture tibétaine aussi sûrement que la police martyrise sa population. [...]

En rentrant à l'hôtel, j'ai croisé une veille femme édentée et courbée sous le poids de deux grands seaux et de son malheur, qui tentait de vendre ce que je croyais être du thé. Elle avait peine à rester debout, autant à cause de son fardeau que des passants qui prenaient visiblement un malin plaisir à tenter de la faire tomber, la bousculant rudement en ricanant. Elle ne parlait pas un mot d'anglais, je ne parlais pas un mot de chinois, mais son regard en a dit suffisamment long. J'ai essayé de lui faire comprendre que je voulais lui acheter son thé, en lui mimant machinalement, frottant mon index contre mon pouce. Elle m'a sorti ce qui restait d'un mouchoir, croyant manifestement que je voulais m'essuyer les mains. Je lui ai souri en secouant la tête, et lui ai montré un peu d'argent. Elle m'a donné un bol d'un liquide à la couleur indéfinissable, à peine tiède. C'est ainsi que j'ai découvert le thé au beurre. Il n'était pas bon, mais m'a fait un bien fou. Je lui ai souri à nouveau, et lui ai fait un signe de tête pour la remercier. Elle m'a rendu mon salut, et je l'ai regardée un moment, impuissant, s'éloigner en titubant sous les quolibets des passants.

C'est sûr maintenant, mon thé n'aura plus jamais le même goût.


Teph. Carnets de voyages - Lhassa - 12 juin 1994.

Écrit par le 10 mars 2004 à 19:02
Réactions

" Nul doute que dans quinze ou vingt ans, il ne restera plus grand-chose de ce qui fut le Tibet "

Ma petite école a participé à un projet initié par l'association Tisser la Paix (le site n'a pas été mis à jour depuis longtemps)

Grosso modo, en 2002, 2 groupes d'une trentaine d'enfants chacun (8 à 12 ans), l'un venu de la région de Leh au Ladakh (partie du Tibet an Nord de l'Inde), l'autre de la région d'Harorin (ancienne capitale de la Mongolie), ont été accueillis pendant 1 mois 1/2 en France, dans des familles et des écoles, d'abord à Lyon, puis La Grave, Marseille, Arles et dans les Cévennes. En 2003, 2 groupes de ces différentes régions sont partis 3 semaines, les uns chez leurs correspondants Ladakhis, les autres chez leurs correspondants Mongols.

Je n'ai pas eu la possibilité d'aller siroter le thé Ladakhi sur place ( J'ai par contre ingurgité des litres de thé au lait salé Mongol en accompagnant le groupe de petits français l'été dernier, je ne sais pas si c'est pire !!) mais pendant la dizaine de jours où les enfants se mélangeaient dans mon école, beaucoup ont été assez surpris: ces enfants de deux pays relativement comparables ( des régions assez pauvres, une culture bouddhiste, ... ) n'avaient pas du tout la même attitude face à notre "belle" culture occidentale. Les petits Mongols étaient très perméables, se jetaient sur nos nouvelles technologies, nos vêtements "de marque", ... et j'ai pu constater que la mondialisation fonctionnait très bien en Mongolie où les enseignes d'Ulan Baator sont proches des notres. Par contre, les petits Ladakhis restaient très distants face à nos "trésors", le besoin n'est pas encore créé, la culture d'origine est encore très forte, même si le Ladakh attire de plus en plus de touristes dans les petits villages (les formules "accueil à la ferme" se multiplient).

Il y a donc peut-être un peu d'espoir qu'au Ladakh, qui a accueilli beaucoup de réfugiés de la partie envahie par la Chine, la culture Tibétaine s'y préserve ...

Mis à jour par JMH le 11 mars 2004 à 07:57

Merci infiniment de ton temoignage. J'aime penser que tout n'est pas perdu, meme si ...

Mis à jour par Tephanis le 12 mars 2004 à 16:32