22 janvier 2003
c'est au pied du mur...

C'était en 1982. Je crois. J'étais, entre deux portes, prof de français intermittent dans une école de langues à Berlin. Ouest.

J'avais une toute petite chambre dans l'école. Un placard, littéralement, avec juste la place du lit et une trentaine de centimètres d'espace vital avant le mur.

Je vivais de paquets de 500g deTreets (maintenant ça s'appelle des M&Ms, pour ceux qui sont trop jeunes) que j'achetais un prix ridicule dans un des tous premiers "hard discounters" - Aldi - de la ville.

Le soir, je descendais la grande avenue jusqu'a la Siegessaüle, je passais à côté des ruines du Reichstag, je regardais la relève de la garde à la porte de Brandebourg, et je m'amusais de voir des lapins baguenauder devant les deux T34 russes du mémorial.

Un dimanche, elle a frappé à ma fenêtre. Elle avait grimpé le long de la gouttière. Elle voulait m'emmener voir quelque chose. Moi, je suis descendu par les escaliers. J'étais déjà très fort pour ne pas comprendre.

Elle habitait à côté du mur. Juste en face de sa fenêtre, il y avait un mirador. "En face". Alors elle n'ouvrait jamais ses rideaux.

Elle suivait souvent la voie ferrée du S-Bahn pour rentrer chez elle, la nuit, faisant les derniers cent mètres à reculons pour ne pas voir le mur.

Elle n'a pas fait beaucoup de progrès en Français. Elle n'arrivait jamais à se concentrer.

Je ne sais pas pourquoi elle passe ici ce soir.

Elle a essayé de m'expliquer, pendant des heures, pourquoi elle ne pouvait pas vivre, pourquoi les néons frénétiques, la ville qui ne s'arrêtait jamais, la musique trop fort...

... je n'ai pas retrouvé sa trace quand je suis repassé en 1990. Une autre génération s'interrogeait sur les lumières de la ville.

Écrit par O. le 22 janvier 2003 à 22:34
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