01 juin 2005
[flashback - épisode premier] Brest-Jérusalem

Je suis parti en Palestine en septembre 2001. Pas l'ombre d'un projet militant de quelque nature que ce soit. Juste un changement dans ma vie, une opportunité qui s'était présentée par hasard. Un truc un peu dingue. Rien à voir avec "la situation".

Ça ne veut pas dire que j'arrivais là-bas comme une oie blanche non plus.


Gamin, pour une raison ou une autre, mon environnement était pro-israélien. J'ai grandi entouré de livres qui chantaient les louanges de ce peuple courageux qui avait fait fleurir le désert. Ma sœur recevait même un périodique qui s'appelait "les combats d'Israël". J'en étais même venu à acheter un manuel d'hébreu et essayer de l'apprendre. Je devais avoir douze ans. J'en avais 10 au moment de la guerre du Kippour. Dans ma tête, les méchants étaient les Égyptiens et les Syriens.

La collection des méchants s'est agrandie un peu plus tard : au fil des détournements d'avions, j'ai ajouté les Palestiniens. J'avais une sainte horreur de ce genre de trucs. Je l'ai toujours.

Je me suis assez longtemps tenu à l'écart des informations en tous genres. Je n'ai suivi que très distraîtement la guerre civile au Liban, mais j'ai tout de même tiqué à la nouvelle de l'invasion israélienne, et quand j'ai vu qu'ils ne repartaient pas.

J'ai totalement ignoré l'intifada, la première. Mes parents ont visité Israël et n'ont rien rapporté de choquant.

Avant de partir, donc, j'ai décidé de me remettre un peu à jour sur ce qui se passe dans ce secteur là. Je suis parti sur l'internet. À ma grande stupéfaction, j'ai découvert que les Palestiniens n'avaient pas disparu le jour où ils avaient arrêté de détourner des avions. J'ai découvert les stupéfiantes images de l'intifada, les récits de ces gens d'un peu partout qui parlaient d'occupation. Je n'avais jamais vu les choses sous cet angle là.

Par des amis, j'ai appris la venue à Brest de Marwan Bishara, à l'invitation des Amis du Monde Diplomatique. Dans un amphi de la fac de Brest, il a parlé un peu plus d'une heure. Je suis ressorti de là assez ébranlé. C'est ce soir là que j'ai rencontré pour la première fois Claude, qui allait devenir une amie et avoir une influence déterminante sur mon séjour en Palestine.

J'ai aussi fait le tour des chatrooms sur le net, et j'ai fait la "connaissance" d'une jeune palestinienne. Une arabe israélienne, comme on dit. Elle me parlait de la cueillette des olives à venir pour sa famille, famille qu'elle n'avait pas vue depuis des années. Ils habitent Gaza.

Avant de partir, voici ce que j'écrivais dans Brest-Jérusalem , en fait la toute première entrée dans mon journal de bord :

Aujourd'hui, Jérusalem est à l'actualité à plus d'un titre. Ça fait un peu plus de 50 ans que ça dure, et il est probable que ça ne va pas s'arrêter tout de suite.

Ville d'histoire, ville de religions, ville de passions, ville de chants, de sang et de larmes, ville symbole pour deux peuples. Ville de colère, ville de douleur.

Voilà ce que j'en sais. Non. J'en sais plus. Mais je me méfie de ce que je sais.

Dans environ trois jours, je serai à Jérusalem. Je veux essayer de raconter cette ville. Je ne sais pas encore sous quelle forme. Galerie de portraits, descriptions, images. Des faits, des impressions. Mon prisme déformant appliqué à la lumière de cet endroit.

Je ne partais pas vierge, et j'avais décidé de raconter. Au départ, je pensais ne m'adresser qu'à mes proches, et à moi-même. Encore que. Quand on relit, avec le recul, on ne peut s'empêcher de penser que je savais ou voulais que ce soit lu. La dernière phrase, notamment.

Bien sûr, j'ai des préjugés. Des sympathies. Des indignations. J'essaierai juste d'être le plus honnête possible.

Je serai un autre regard, si j'ai un peu de chance, et sinon je me contenterai d'être juste un regard de plus.

On n'écrit pas ça sur un truc qu'on veut être un journal intime.

D'un autre côté, les moteurs de recherche étant ce qu'ils sont, je me suis retrouvé avec souvent des centaines de lecteurs quotidiens, mais je ne m'y attendais absolument pas.

Au fil du temps, Brest-Jérusalem (dorénavant "BJ") a pris de l'importance dans mon séjour. C'est devenu une constante de mon environnement. Au point que ma vision des choses pouvait même en être influencée. Il m'est arrivé une fois ou deux d'apréhender un évênement en fonction de la façon dont j'allais pouvoir le raconter, ce qui n'est jamais bien sain. Heureusement, là-dessus je crois que j'ai gardé un contrôle quasi général.

Une fois ou deux, le besoin de publier quelque chose m'a amené à prendre des risques totalement inutiles.

Dans l'absolu, alors que j'écris ce "livre", une partie de moi sait que le principal est déjà écrit. BJ est -à mes yeux- un témoignage important, vivant, sensible et valable, un reflet de la période que j'ai traversée. Et pour être honnête, je crois qu'il n'a pas été assez lu. Mais ça, c'est de ma faute.

BJ est le livre que je voulais écrire, dans un sens. Ce que je fais maintenant est différent, plus thérapeutique qu'autre chose.

Mais qui sait ?

Écrit par O. le 01 juin 2005 à 19:16
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