01 juin 2005
[flashback - épisode second] L'apocalypse est pour demain

Quand j'ai décroché le téléphone dans mon bureau ce jour de mars 2002, je ne savais pas que je m'apprêtais à bouleverser ma vie. Il m'a fallu quarante-huit heures pour comprendre. Les quarante-huit heures les plus intenses, et les plus importantes de ma vie. Quoique : peut-être pas les plus intenses, finalement. Mais à l'époque je pouvais légitimement penser ça.

Quand j'ai décroché le téléphone dans mon bureau, ce jour de mars, l'armée israélienne venait en masse d'envahir la Cisjordanie, et principalement Ramallah, à la suite d'un attentat suicide particulièrement meurtrier qu'on a appelé le "massacre de Pâques".

Quand j'ai décroché le téléphone dans mon bureau, ce jour de mars, un groupe de volontaires internationaux venait d'avoir, à Ramallah, une série de confrontations avec les Israéliens, à l'hôpital.


Au bout du fil, il y avait Claude, mon amie brestoise, qui se trouvait dans ce groupe de volontaires. Elle en était un des leaders, en fait. Claude a été brève et sans détour : les ambulanciers palestiniens de l'UPMRC demandaient des volontaires internationaux pour les protéger des soldats qui leur faisaient subir de mauvais traitements dans la ville. Et, fidèle à l'humour que nous partageons, elle a ajouté : "il nous faut quelqu'un de grand, fort et bête, j'ai tout de suite pensé à toi".

J'ai dit oui.

Quelques heures plus tard, avec un petit groupe de Danois et Islandais, on était en route pour Ramallah, par la petite porte : Qalandia était fermé, du moins nous le supposions. Il y avait Christian, Addi, Svala, Tavs, Eske, et bien sûr Pernille. Christian et Tavs avaient déjà travaillé avec les ambulanciers de l'UPMRC.

Le taxi nous a laissés à quelques centaines de mètres de l'hôpital. Quand on lui a demandé pourquoi il n'allait pas jusqu'au bout, il nous a répondu qu'il y avait des snipers en activité dans les maisons environnantes. Si nous ne l'avions pas encore compris, nous étions sur le point de rencontrer pour la première fois la guerre.

Je sais, je dramatise. Mais je me rappelle l'impact de la phrase. Parce que bon, la guerre, elle était là tout le temps, dans un sens. Le soldat, les armes, étaient totalement partie de notre quotidien. Mais ce côté "quotidien", justement, nous la rendait totalement normale, la guerre. Rien de dangereux, pour nous la guerre c'était de présenter nos papiers à des soldats.

Et là en une phrase on nous changeait tout le contexte : il y avait des snipers en activité. Personne ne nous demanderait nos papiers. Être dans la rue était interdit, et dangereux.

On a marché jusque l'hôpital, en silence, en file indienne. On a découvert très vite les règles : marcher au milieu de la rue, surtout ne pas avoir l'air de se cacher; laisser les mains vides en évidence, surtout ne pas avoir l'air dangereux. Au début on se sent bête, mais on se rend rapidement compte que c'est du bon sens. On ne joue pas à la guerre, cette fois on a les deux pieds dedans. Et on n'a pas le droit à l'erreur. Une tâche de sang sur le trottoir met le point sur le I de "prudence".

En fait, nous avions rendez-vous avec mon amie Claude et son groupe d'"internationaux". Et, coup de chance, nous les avons manqués d'une bonne demi-heure. Je dis coup de chance parce qu'ils sont partis de l'hôpital pour aller s'enfermer dans la résidence d'Arafat, la fameuse Muq'ata, et y sont restés plus d'un mois. Ça, c'est une péripétie que je suis heureux de ranger dans le tiroir "j'y étais pas". J'en reparlerai.

Et nous, donc, nous étions sur le trottoir devant l'hôpital. Le téléphone d'un des Danois a sonné, c'était leur organisation qui leur intimait l'ordre exprès de rebrousser chemin et de rentrer à Jérusalem.

J'aimerais pouvoir décrire une tempête sous un crâne, à la Hugo, mais non, je n'ai pas réfléchi une seconde. J'ai décidé de rester. Je n'avais aucun fil à la patte, et j'avais promis. Ma Lady m'a laissé faire sans me rendre la chose difficile. Christian, Tavs et Addi m'ont conduit rapidement au bureau de l'UPMRC. Enfin pas si rapidement... nous avons dû plusieurs fois laisser passer des blindés. Addi nous filmait, pour un documentaire dont j'ignorais tout à l'époque, et j'ai eu la surprise de nous découvrir, deux ans après, à la télévision danoise, en train de marcher dans les rues de Ramallah, entre deux chars. Bizarre. Je ne savais pas non plus que j'allais à nouveau voir cette caméra dans de toutes autres circonstances, à peine trois jours plus tard.

Écrit par O. le 01 juin 2005 à 19:48
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