Pas des brebis galeuses...
Depuis le temps que je mentionne des incidents de comportement de soldats israéliens dans les territoires occupés (rappel : j'ai commencé en 2001), j'ai toujours prétendu qu'il ne s'agissait pas d'incidents isolés. Pour moi, les gens qui rejettent la responsabilité des incidents dans les territoires sur des "brebis galeuses" se mentent, et ne veulent pas voir le caractère qu'a pris l'occupation israélienne dans les territoires depuis 2000.
Heureusement, les langues se délient, et on finit par pouvoir suivre les fils embrouillés par le discours volontairement générateur de confusion des autorités israéliennes et de leurs thuriféraires. Dernier exemple en date :
The Israeli soldier on trial for killing the British peace activist Tom Hurndall in the Gaza Strip has admitted he was lying when he said his victim was carrying a gun, but said he was under orders to open fire even on unarmed people.
Le soldat israélien en jugement pour la mort du militant pacifiste anglais
Tom Hurndall dans la bande de Gaza a admis avoir menti quand il a déclaré que sa victime portait une arme, mais a aussi déclaré qu'il avait ordre d'ouvrir le feu même sur une personne désarmée. Fin de citation.
Autres extraits de l'audience, rapportée par le Guardian (qui suit l'affaire depuis le début) :
I did not give a false report. He might have had a weapon under his clothing. People fire freely there. The [Israeli army] fires freely in Rafah."
Je n'ai pas fait de faux rapport. Il aurait pu avoir une arme sous ses vêtements. Les gens font feu à volonté ici. L'armée israélienne fait feu à volonté à Rafah. Fin de citation
The sergeant replied: "Because I had already fired without getting approval [from the company commander]. Everything was under pressure and a result of fear. They tell us all the time to fire; that there is approval. All the troops [in Rafah] fire without approval at anyone who crosses a red line."
Le sergent a répondu : "parce que j'avais déjà tiré sans autorisation (du commandant de compagnie). Tout était sous pression et sous l'influence de la peur. Ils nous disent tout le temps de tirer; qu'on a l'autorisation. Tous les soldats [à Rafah] firent sans autorisation sur toute personne qui passe une ligne rouge" - Fin de citation
Le même sergent déclare également qu'on ne lui a pas communiqué les sacro-saintes règles d'engagement (le mode d'emploi du quand tirer et quand ne pas le faire). Il est à noter que pendant le procès, les séances où ces règles sont invoquées sont secrètes et la partie civile n'y est pas admise.
Ce procès est une bonne chose, à plusieurs titres. D'abord, il y a un procès, ce qui indique clairement que le processus judiciaire n'est pas mort en Israël. Il reste, et notamment à l'échelon judiciaire, une quantités d'Israéliens pour qui les termes "état de droit" ne sont pas qu'un cache sexe. D'accord, le procès a surtout lieu parce qu'il s'agit d'un mort anglais, et que le gouvernement britannique a *lourdement* insisté. Mais néanmoins, crédit doit être donné à cette partie de la société israélienne qui insiste pour s'appliquer à soi-même les règles au nom desquelles elle combat. Autre procès, quelques mois auparavant, celui relatif au tir aux pigeons effectué par un char au marché de Jénine en juin 2002 (5 morts et des blessés, dont un de mes amis).
Mais, surtout, ce qui sort de ces procès, et la presse israélienne -au grand désespoir du gouvernement - s'en fait largement écho, c'est la fin du mythe de l'armée la plus morale du monde. C'est l'acceptation de la corruption des esprits. Les incidents sont légion, et très peu donnent lieu à un procès. Il n'y a pas eu de procès quand je me suis pris un coup de crosse parce qu'un soldat marchait volontairement sur les compresses de mon ambulance et jetait le matériel médical stérile dans une flaque de boue.
Pas de procès pour ce soldat que j'ai vu cracher sur les chaussures d'un Palestinien qui protestait pour un refus de passage. Pas de procès pour les soldats qui occupent des maisons et les laissent avec de la merde dans l'évier, dans les lits, dans le frigo. Pas de procès pour les innombrables vols dans les maisons fouillées, pas de procès pour ces soldats hilares à la vue d'une femme pleurant devant sa maison en flammes, pas de procès pour les étalages de légumes écrasés par les chars, pour les poteaux électriques écrasés "par erreur" au rythme inéluctable d'un par jour, pour les transformateurs électriques percés de balles, pour les tirs dans la nuit, pour les chars diffusant de la musique pour emêcher les gens de dormir.
Trop de choses pour n'avoir affaire qu'à des brebis galeuses. Ces quelques procès sont la partie émergée d'un trop gros iceberg.
Entre les oreilles : rien - au bureau
Écrit par O.
le 16 décembre 2004
à 09:09