15 décembre 2003
Nuances de gris

Il n'est pas question de ne pas se réjouir de la capture de Saddam Hussein. Sur la place de la mairie, hier soir, tout ce que Copenhague compte d'Irakiens faisait la fête. Mes Hamis de Hamas, en Palestine, qui perdent rarement l'occasion de faire une connerie, ont manifesté leur chagrin : consternant.

Cependant, les images du Saddam échevelé, hirsute, à qui on regardait les dents comme si on s'apprêtait à le vendre sur la place du marché (ce qui est d'ailleurs grosso-modo le cas, dans un sens), même si elles m'ont fait plaisir, ne m'ont pas rassuré. Elles nous montrent un homme solitaire, terré dans un trou, pas vraiment l'image d'un chef de réseau tissant sa toile (même si son refuge est qualifié de "trou d'araignée"). Ce n'est visiblement (mais bon, hein, vu de mon salon) pas lui qui est à la source ou aux commandes de ceux qui mènent la vie dure aux soldats américains, et surtout en ce moment aux policiers irakiens, qui tombent comme des mouches, sans parler des invisibles (au niveau des media) "victimes collatérales" irakiennes.

Ca peut cependant constituer un déclic. Espérons-le. Je ne sais pas pardonner à la "coalition du bien" d'avoir mené le monde en bateau sur les raisons de cette guerre, ni d'avoir cloué le cercueil d'une certaine idée de la coopération internationale pour inaugurer l'âge du Gourdin, mais maintenant la priorité c'est de foutre la paix au petit peuple irakien, et tout le monde (tout le monde) devrait s'y mettre. L'occupation militaire commence à montrer ici et là son universel visage : clôtures, humiliations, incompréhensions, destructions, punitions collectives, et pour qui sait lire les signes il est très difficile de croire que la population irakienne sympathise avec les forces armées occupantes, même si ils sont très certainement heureux d'avoir été débarrassés du régime de Saddam.

Bref, la capture de Saddam devrait être pour tout le monde l'occasion de repartir sur un meilleur pied. On peut rêver...

Dans le même temps, la construction européenne prenait un coup sur la tronche. Mais était-il sage de vouloir si rapidement faire passer le groupe de 15 à 25 alors qu'à 15 il ne fonctionnait déjà pas vraiment ?

Que s'imagine-t'on, à Paris, Berlin, Madrid, Varsovie ou ailleurs ? Que la construction de l'ensemble européen peut se faire sans aucun abandon de souveraineté ? Fallait pas venir alors. Fallait pas démarrer le bazar. Si on n'est pas prêts à mettre au pot commun, il ne faut pas s'inscrire au club.

Et d'ailleurs, ce débat sur l'influence de tel ou tel pays, que signifie-t'il vraiment ? La France de Chirac représente à tout casser 30% de la population française, il est illusoire de s'imaginer que la voix d'un pays est celle de sa population. Tant qu'on n'aura pas un système qui permet de prendre en compte les voix de chacun (une démocratie directe européenne), je ne crois pas au succès de la formule. Il serait surprenant que tous les habitants d'un même pays votent dans la même direction.

J'en suis à me demander si la France et l'Allemagne ne devraient pas unilatéralement jeter les bases d'une mini-union, avec politiques communes, tant extérieures qu'intérieures. Il s'agit de construire une union qui marche et qui donne à l'ensemble des participants une assise plus solide que la juxtaposition des assises existantes. On ne force personne à s'inscrire, qui s'inscrit joue selon les règles. Et il ne s'agit pas là d'une domination d'un pays ou l'autre. Enfin idéalement.

Trop de pays font la queue à l'entrée de l'Europe pour les avantages économiques, sans vouloir en payer le prix politique : ça eut payé. Ca ne marche pas. ll faut revoir la formule.

Tant qu'on parle de nuances de gris : on a eu la première neige cette nuit. Rien de bien spectaculaire pour le moment, mais j'espère pouvoir revoir la même neige qu'il y a deux ans.

Écrit par O. le 15 décembre 2003 à 07:01
Réactions

Ton passage sur l'Europe fait plaisir à lire. Je suis "un de plus" dans plus d'integration pour abandonner de la souverainete nationale au profit d'une democratie directe au niveau europeen.

Sinon j'ai fait aussi ma seance de velo sur glace :o)

Mis à jour par loic le 15 décembre 2003 à 11:50

En voyant Sadam Hussein échevelé, hagard, sans défense et traité comme un cheval de foire (soi-dit en passant ces images n'auraient jamais dû être à l'écran, il me semble que les conventions existent...), je n'ai pas réussi à avoir un réel contententement de l'arrestation de ce tyran. Même si profondément je me réjouis que ce dictateur ne puisse plus continuer à exterminer une partie de sa population, je n'ai pu m'empêcher d'avoir un haut le coeur en voyant la déchéance de cet homme (ce doit être, comme le dit si bien Sam, mon côté bons sentiments). Y'a rien à faire, je penserai toujours que nous sommes vraiment peu de choses et que tous ces tortionnaires sont au fond que de "pauvres hommes" bien banals. Ceci n'empêche nullement la justice de s'accomplir du moment que l'on ne se met pas au même niveau qu'eux... Un peu de dignité au niveau des médias serait la bienvenue, non pour lui mais pour nous !

Mis à jour par muriel le 15 décembre 2003 à 12:26

Dans une civilisation (ça m'obsède en ce moment) où il est de bon ton de vous fourrer des nichons sous le nez pour vous faire manger du yaourt, ces images de Saddam ne sont pas le problème le plus criant qui me vienne à l'esprit. Il est important, je crois, pour beaucoup d'Irakiens, de le voir dans cet état là. Ca leur montre aussi qu'il était seul, et qu'ils n'ont pas besoin de regarder leur voisin sous le nez, dans un sens.
Enfin je ne sais pas. Tu as un peu raison tout de même.

Mis à jour par O. le 15 décembre 2003 à 12:31

J'abonde dans ton sens pour ce qui est de l'idée d'une "union franco allemande" mais n'oublions pas qu'en matière de respect des accords européens la France et l'Allemagne ne sont pas des modèles. Le deviendraient elles ? C'est à encourager (va falloir se remettre à apprendre l'allemand, dur...). N'oublions pas aussi que l'union politique européenne est le cauchemard des USA et que leurs satellites en Europe (la "nouvelle europe") relaient fort bien cette hostilité. Compliqué tout ça...
Quant à la capture de Sadam Hussein, je ne peux pas me rejouir de voir traiter un type comme un animal, fut il le pire des salauds. Cela restera dans la mémoire de ceux qui l'ont soutenu, nombreux en Irak même si minoritaires. Humilier n'est jamais bon, ni pour celui qui subit ni pour celui qui agit. Je suis peut être pessismiste mais je ne crois pas que cela va améliorer les choses là bas, au contraire. Tout juste cela servira-t-il la campagne electorale des fripouilles qui ont commencé cette guerre. Et de cela je ne peux me réjouir non plus.
Bref, on a capturé Sadam Hussein, j'irai jusqu'à dire que je m'en fous. Peut être que ça n'est plus très important... sauf si on lui fait un vrai procès et qu'il parle de ses anciens amis mais de cela aussi il est permis de douter.

Mis à jour par Manu le 15 décembre 2003 à 12:38

Merci O. pour cette reflexion.

Je me suis fait peur à avoir de la pitié en voyant ce type traqué placardé sur les écrans au mépris des plus élémentaires règles de respect humanitaire. Vraiment ça m'a fait peur, parce que c'était quand même une belle saloperie. Bien sûr qu'il mérite d'être au taule. Mais où est l'humanité lorsqu'on fait subir des traitement dégradants quand on se revendique de principes supérieurs? L'idée de justice est plus que légitime, en revanche la vindicte populaire (qui plus est instrumentalisée par les canaux habituels) alors ça non quelle horreur. Ca me rappele trop l'épuration en 44 (enfin mes études sur le sujet).

Finalement je suis aussi déchiré que Muriel et O. Bien sûr que la nouvelle n'est pas triste, mais c'est la manière qui gêne. Et puis cela ne change rien au fond du problème, cela n'efface pas les milliers de morts. Cela n'efface pas le hold-up des vautours sur l'Irak.

Pour l'Europe, je partage ton sentiment O. Il est temps de redonner le pouvoir de décider aux gens. Sinon ce n'est plus de démocratie européenne dont on parle mais d'une de ces oligarchies qui se sait se cacher. Je suis convaincu que l'Europe se fera, mais à géométrie variable, parce que sa faiblesse est aussi sa force, c'est sa définition. Il y a tant de définitions de l'Europe. Elle se fera en s'articulant autour des deux conceptions, et j'espere qu'un ensemble supranational se bâtira autour, pourquoi pas, des pays fondateurs. Toutes les constructions de cette nature ont été confrontées à des crises de croissance. Mais nos chers dirigeants ont mal joué, il ne fallait pas négliger et remettre toujours à plus tard la question de l'approfondissement (se doter d'instances supranationales). Alors on espère, parce que face à l'hystérie nord-américaine, un peu de pragmatisme européen serait le bienvenu. A condition bien sûr qu'on sache tirer toutes les leçons de nos propres erreurs...

Amitiés. Joel.

Mis à jour par aqb le 15 décembre 2003 à 13:00