Nuances de gris
Il n'est pas question de ne pas se réjouir de la capture de Saddam Hussein. Sur la place de la mairie, hier soir, tout ce que Copenhague compte d'Irakiens faisait la fête. Mes Hamis de Hamas, en Palestine, qui perdent rarement l'occasion de faire une connerie, ont manifesté leur chagrin : consternant.
Cependant, les images du Saddam échevelé, hirsute, à qui on regardait les dents comme si on s'apprêtait à le vendre sur la place du marché (ce qui est d'ailleurs grosso-modo le cas, dans un sens), même si elles m'ont fait plaisir, ne m'ont pas rassuré. Elles nous montrent un homme solitaire, terré dans un trou, pas vraiment l'image d'un chef de réseau tissant sa toile (même si son refuge est qualifié de "trou d'araignée"). Ce n'est visiblement (mais bon, hein, vu de mon salon) pas lui qui est à la source ou aux commandes de ceux qui mènent la vie dure aux soldats américains, et surtout en ce moment aux policiers irakiens, qui tombent comme des mouches, sans parler des invisibles (au niveau des media) "victimes collatérales" irakiennes.
Ca peut cependant constituer un déclic. Espérons-le. Je ne sais pas pardonner à la "coalition du bien" d'avoir mené le monde en bateau sur les raisons de cette guerre, ni d'avoir cloué le cercueil d'une certaine idée de la coopération internationale pour inaugurer l'âge du Gourdin, mais maintenant la priorité c'est de foutre la paix au petit peuple irakien, et tout le monde (tout le monde) devrait s'y mettre. L'occupation militaire commence à montrer ici et là son universel visage : clôtures, humiliations, incompréhensions, destructions, punitions collectives, et pour qui sait lire les signes il est très difficile de croire que la population irakienne sympathise avec les forces armées occupantes, même si ils sont très certainement heureux d'avoir été débarrassés du régime de Saddam.
Bref, la capture de Saddam devrait être pour tout le monde l'occasion de repartir sur un meilleur pied. On peut rêver...
Dans le même temps, la construction européenne prenait un coup sur la tronche. Mais était-il sage de vouloir si rapidement faire passer le groupe de 15 à 25 alors qu'à 15 il ne fonctionnait déjà pas vraiment ?
Que s'imagine-t'on, à Paris, Berlin, Madrid, Varsovie ou ailleurs ? Que la construction de l'ensemble européen peut se faire sans aucun abandon de souveraineté ? Fallait pas venir alors. Fallait pas démarrer le bazar. Si on n'est pas prêts à mettre au pot commun, il ne faut pas s'inscrire au club.
Et d'ailleurs, ce débat sur l'influence de tel ou tel pays, que signifie-t'il vraiment ? La France de Chirac représente à tout casser 30% de la population française, il est illusoire de s'imaginer que la voix d'un pays est celle de sa population. Tant qu'on n'aura pas un système qui permet de prendre en compte les voix de chacun (une démocratie directe européenne), je ne crois pas au succès de la formule. Il serait surprenant que tous les habitants d'un même pays votent dans la même direction.
J'en suis à me demander si la France et l'Allemagne ne devraient pas unilatéralement jeter les bases d'une mini-union, avec politiques communes, tant extérieures qu'intérieures. Il s'agit de construire une union qui marche et qui donne à l'ensemble des participants une assise plus solide que la juxtaposition des assises existantes. On ne force personne à s'inscrire, qui s'inscrit joue selon les règles. Et il ne s'agit pas là d'une domination d'un pays ou l'autre. Enfin idéalement.
Trop de pays font la queue à l'entrée de l'Europe pour les avantages économiques, sans vouloir en payer le prix politique : ça eut payé. Ca ne marche pas. ll faut revoir la formule.
Tant qu'on parle de nuances de gris : on a eu la première neige cette nuit. Rien de bien spectaculaire pour le moment, mais j'espère pouvoir revoir la même neige qu'il y a deux ans.
Écrit par O.
le 15 décembre 2003
à 07:01
Merci O. pour cette reflexion.
Je me suis fait peur à avoir de la pitié en voyant ce type traqué placardé sur les écrans au mépris des plus élémentaires règles de respect humanitaire. Vraiment ça m'a fait peur, parce que c'était quand même une belle saloperie. Bien sûr qu'il mérite d'être au taule. Mais où est l'humanité lorsqu'on fait subir des traitement dégradants quand on se revendique de principes supérieurs? L'idée de justice est plus que légitime, en revanche la vindicte populaire (qui plus est instrumentalisée par les canaux habituels) alors ça non quelle horreur. Ca me rappele trop l'épuration en 44 (enfin mes études sur le sujet).
Finalement je suis aussi déchiré que Muriel et O. Bien sûr que la nouvelle n'est pas triste, mais c'est la manière qui gêne. Et puis cela ne change rien au fond du problème, cela n'efface pas les milliers de morts. Cela n'efface pas le hold-up des vautours sur l'Irak.
Pour l'Europe, je partage ton sentiment O. Il est temps de redonner le pouvoir de décider aux gens. Sinon ce n'est plus de démocratie européenne dont on parle mais d'une de ces oligarchies qui se sait se cacher. Je suis convaincu que l'Europe se fera, mais à géométrie variable, parce que sa faiblesse est aussi sa force, c'est sa définition. Il y a tant de définitions de l'Europe. Elle se fera en s'articulant autour des deux conceptions, et j'espere qu'un ensemble supranational se bâtira autour, pourquoi pas, des pays fondateurs. Toutes les constructions de cette nature ont été confrontées à des crises de croissance. Mais nos chers dirigeants ont mal joué, il ne fallait pas négliger et remettre toujours à plus tard la question de l'approfondissement (se doter d'instances supranationales). Alors on espère, parce que face à l'hystérie nord-américaine, un peu de pragmatisme européen serait le bienvenu. A condition bien sûr qu'on sache tirer toutes les leçons de nos propres erreurs...
Amitiés. Joel.