05 novembre 2003
Petit lexique d'un conflit : I comme... inch'Allah

J'en connais un qui va y laisser sa chemise et ses bottes, mais pour la lettre I de ce petit lexique, il y a un candidat qui écrase tous les autres. Etre fataliste sans amertume, accepter la vie comme elle vient, la croire dans les mains de Dieu sans s'exonérer des hommes, ce n'est pas donné à tout le monde.

Aujourd'hui, I, si tout va bien, c'est inch'Allah

Inspirez...


- Tu vas à Jérusalem ? - inch'Allah... si Dieu le veut...

J'ai eu cette conversation avec un chauffeur de taxi palestinien, un de mes derniers jours en Palestine. Nous étions au checkpoint d'Al Ram... un petit trois kilomètres de Jérusalem. Parce que les trois kilomètres, il n'était pas certain de me les faire faire sans encombres.

Il y a école demain ? La ville est ouverte demain ? On pourra acheter des légumes demain ? Abdallah va pouvoir rentrer de Qalqiliah demain ? Inch'Allah. Ca ne sert à rien de s'inquiéter, c'est entre les mains de Dieu.

Quand le standardiste de l'antenne du Croissant Rouge de Jénine dit à une femme enceinte, à quatre heures du matin "l'ambulance sera là dans une heure", il ajoute toujours "inch'Allah". Il sait que l'équipage fera l'impossible pour passer les barrages, les contourner, les éviter, et que les gars ne renonceront que si vraiment ce n'est pas faisable. La volonté d'Allah ne va dans le bon sens que si on y met du sien, de toute façon. Mais si on a fait tout ce qu'on pouvait faire, et que malgré tout l'ambulance ne passe pas, l'équipage est en paix avec lui-même. Allah, c'est plus fort que toi.

Ca n'empêche pas la frustration, la colère, la douleur. Ca ne guérit pas les blessures, mais c'est un peu le garde-fou contre la haine et l'inhumanité, pour beaucoup de gens.

Un ami musulman me disait que c'était ce rapport à Dieu qui le rendait, lui, humain.

Parfois, je me demande si ce n'est pas aussi un peu une limite...

Un autre muslman, sous les murs de la vieille ville de Jérusalem, une nuit, m'a expliqué que quand on n'a pas de dieu, on n'est pas vivant. Puis il m'a dit que je portais un peu d'Allah en moi, et que ça faisait de lui, qui me parlait, mon ami pour les bons jours et les mauvais jours. Rencontre de passage, fugitive. On se retrouvera quelque part, un jour. Inch'Allah.

Incroyant de nature, comme d'autres que je cotoyais là-bas, nous avions cependant tous adopté le "inch'Allah" dans notre vocabulaire. Façon de garder nos distances avec le destin et les trucs qui nous dépassent.

Une seule exception, cependant. Quand on levait notre verre à la Palestine libérée : "Free Palestine". Tout court.

Parce qu'il y a des trucs qu'on ne veut croire entre les mains de personne.

Respirez, c'est fini.

Écrit par O. le 05 novembre 2003 à 16:19
Réactions

Beezrat Hachem, on dit.

Meme pas une petite mention pour le mot d'ordre Allahu Aqbar ? C'est important aussi dans le lexique d'un conflit, de beaucoup de conflits. Mais le A etait pris, je sais.

A part ca, moi je pense qu'Il a justement mis notre destin entre nos mains, c'est dommage de Lui rendre un si beau cadeau.

Mis à jour par boq le 05 novembre 2003 à 23:17

Blood and guts!
Je vais finir ce jeu tout nu!

cette fois ci je n'arrive pas à me décider, entre Jérusalem, et Jenine (mais comment tu fais pour choisir?).
Normalement ces deux occasions là ça doit faire au moins un goal!

Comment ça non?

Mis à jour par Marc le 06 novembre 2003 à 01:38

Bravo encore une fois O. Ca sonne juste, c'est bien cela. (voir mon post precedent sur mon beau-frere, il l'utilise souvent le inch'allah).

Le 'allahuaqbar', crie le poing en l'air, dans les manifs face aux soldats israeliens, ou dans les enterrements, d'apres ce que j'ai fini par comprendre, ca signifie qqc comme:
'ici et maintenant sur cette terre vous etes forts et puissants, vous avez une armee puissantes, vous nous tuez, vous nous ecrasez et vous nous humiliez, mais en fin de compte, Dieu est plus fort que vous, que tout le monde, et dans l'au-dela (si la justice des hommes ne le fait pas avant), vous serez juges et punis par Dieu pour tous les crimes que vous avez commis', ou bien: 'Dieu est grand et nous donne force et courage de resister, de continuer a vivre et a nous battre, et a ne jamais abandonner notre terre'.

Mis à jour par Christine le 07 novembre 2003 à 11:50

En fait, je l'ai assez peu entendu, ce cri là. Probablement parce que je me tiens toujours à l'écart des foules. J'ai été entraîné dans une procession d'enterrement, mais elle était calme, à Jénine, et j'ai assisté à *une* manif, plus pour être certain qu'il n'arriverait rien à une copine dans un contexte délétère que par conviction.

Inch'Allah, c'est individuel. Allahu'Akhbar, je ne l'ai vécu que comme un truc collectif, après que la sauce soit montée. Ca me faisait un peu l'effet du Plus Petit Commun Dénominateur, le truc qu'on sloganise quand on est à court de vocabulaire.

Loin en tout cas, très loin, je pense, de ce que Boq y voit. Faudrait qu'on en cause.

Mis à jour par O. le 07 novembre 2003 à 11:56