27 mai 2005
Demi tour... droite !

Je ne sais pas pour vous, mais du fond de mon canapé, l'affaire de Newsweek jeté aux toilettes pour casser la presse --pardon : l'affaire du Coran jeté aux toilettes pour casser des prisonniers-- me fascine.

Le plus fascinant c'est que Newsweek, et la presse américaine dans son ensemble, se laissent faire. On voit Newsweek se contorsionner pour trouver de nouvelles façon de présenter ses excuses, on voit les charognards de la "nouvelle presse" (des glands comme moi dans leur canapé avec un clavier et Google, mais américains et de droite - on appelle ça, là-bas aussi, la blogosphère) leur faire une auréole sinistre en tournant autour du moribond.

Tout ce qu'on retiendra de cette histoire, c'est que Newsweek a imprudemment avancé l'information que le Coran avait été profané à Guantanamo *en le jetant aux toilettes* (le détail a son importance), et que par leur faute, des gens sont morts, l'image de l'Amérique (je pouffe) a souffert, et les gens perdent confiance dans la presse (excusez, ça me reprend : je pouffe derechef...)

Bon, plus sérieusement : pourquoi personne chez Newsweek ne monte sur le grand cheval blanc du juste courroux, armé de la grande pourfendeuse du dimanche, pour rappeler un certain nombre de choses :

- l'histoire du Coran n'est certainement pas nouvelle, et si par malheur on n'a pas le nom de la source, c'est peut-être parce que la presse n'est pas spécialement venue sur les lieux du crime présumé. La Croix-Rouge elle-même a signalé plusieurs cas similaires depuis 2002 (voir ici, par exemple). Et à tout seigneur tout honneur, elle l'a signalé à l'administration directement.

- le département d'état américain lui même met en doute l'impact de l'article et son influence sur les émeutes meurtrières en Afghanistan. Ne faites pas les étonnés, je vous l'ai déjà dit : ici.

Personne n'a vu un problème entre 2002 et 2003 quand des sources anonymes prédisaient des champignons atomiques irakiens, des montagnes de toxines botuliques, des avions sans pilotes capables d'atteindre les États-Unis. Mais là, soudainement, tout le monde s'observe le nombril en se demandant si ce sont des pratiques acceptables.

Laissez-moi vous aider, amis de la presse américaine : vous avez le droit de piétiner toutes les déontologies si vos informations vont dans le sens souhaité par la maison-blanche. Dans le cas contraire, fermez-là, ou lisez les communiqués qu'on vous distribue à l'entrée.

Maintenant même le FBI est de la partie, et recense effectivement un certain nombre de cas où le Coran a été traîté de "façon inappropriée", mais l'honneur est sauf : *pas de chiottes*. Enfin pour le moment. On en est à se demander pourquoi certains prisonniers à Guantanamo sont revenus sur leurs déclarations. Sans rire. Mais Newsweek continue d'expier.

Je ne comprends pas pourquoi Newsweek se laisse clouer au pilori alors que tous les paramètres sont connus. La profanation du Coran, plus ou moins grave, avec ou sans chiotte, a été utilisée comme tactique d'interrogatoire. C'est en théorie inacceptable, et en pratique complètement crétin quand on sait le niveau de sensibilité du monde musulman. Il est normal que la presse joue son rôle de sonnette d'alarme. Les émeutes ont leurs causes propres. On le dit. Pas fort, mais on le dit.

Le climat est devenu tellement malsain dans la presse américaine que Newsweek se laisse flinguer sur une question de détail, sans se battre sur le fond.

D'un autre côté quand vous avez une presse qui dépend plus de ses revenus publicitaires que de ses lecteurs, et un pouvoir cul et chemise avec le monde de l'entreprise, il n'est peut-être pas surprenant que ce genre de choses arrivent. Ajoutez une dose malsaine de "patriotisme" mal compris, le nuage des crétins assoifés de sang de la "nouvelle presse", et il est peu probable qu'on puisse bronzer au doux soleil d'une information libre.

Écrit par O. le 27 mai 2005 à 07:58
Réactions

Farpaitement!

Mis à jour par yabonn le 27 mai 2005 à 19:24