20 mars 2004
Singerie... ?

Je suis tombé ici ou là sur des textes intitulés "singerie de mars" avec comme tronc commun un voyage en taxi et un lien vers ce site. Un voyage en taxi mémorable... en fait j'en ai plein mes neurones, mais celui-ci a une saveur particulière...

L'original est ici.

Sortir de Ramallah assiégée devient pour moi une habitude. C'est la seconde fois que ça m'arrive, mais ça été beaucoup plus facile que la première fois.

Arrivé à Kalendia, je m'installe dans une voiture vers Jénine. A 13 heures, on part. On prend l'itinéraire par la 90. Au checkpoint peu après Jéricho, on est refoulés, pas méchamment, mais refoulés tout de même. On nous dirige vers le checkpoint de Ma'ale Efraym qui est susceptible de nous laisser passer. Je tente en dernier recours de parlementer, et d'expliquer que tous les gens dans cette voiture (sauf moi, gentil étudiant de Jérusalem) veulent simplement rentrer chez eux. Que je peux à la rigueur admettre qu'on veuille boucler les gens chez eux. Mais les boucler dehors ? “ce n'est pas moi qui donne les ordres”. Air connu.

Ma'ale Efraym, même refrain : “je vous laisserais bien passer, vous voyez bien que je suis un brave gars, mais j'ai des ordres. Personne ne doit circuler, tout véhicule doit être renvoyé d'où il vient”. Et voilà. Je tente de lui dire qu'au point où on en est, on est condamnés à errer de checkpoint en checkpoint. Il s'en fout. On laisse tomber. Il est près de 14 heures. D'ordinaire, à ce checkpoint là on nous laisse au moins prendre la route vers la gauche. Peu après, il y a un itinéraire bis. Mais non, aujourd'hui on nous refoule tout droit.

On se lance alors dans un périple hallucinant en suivant le cours d'une rivière assêchée. On est visiblement dans un champ de tir militaire, avec des bunkers explosés. La route est la pire que j'ai jamais prise (j'arrive encore à être surpris, c'est fou). A un détour, tout le taxi retient son souffle en même temps : une, dex, trois, quatre, cinq... gazelles courent à côté du minivan. Puis divergent sur la droite. Tout le monde sourit. Il doit faire plus de quarante degrés, on est dans un décor de film, désert, collines pelées à l'extrème, presque blanches de lumière réverbérée, des cailloux à perte de vue. On rentre enfin dans une zone verte avec des arbres. Je réalise que tout ce périple nous a ramené juste derrière le premier checkpoint. Sourires de triomphe. On est passés...


Ouais... ils ne veulent vraiment pas laisser passer quiconque. Après quelques kilomètres, un barrage mobile, et une demi-douzaine de taxis arrêtés. Les gens sont assis dehors, au soleil.

On s'arrête à notre tour. Le chef de la troupe me prend à part, et sous une apparente bonhommie essaye de tirer de moi des informations sur l'itinéraire que nous avons pris pour passer le checkpoint. Je ne me démonte pas, je lui dis qu'avec la chaleur j'ai dormi tout le temps, et que je serais bien en peine de lui dire comment nous avons atterri ici. Il me dit qu'il se doute que je lui mens, mais qu'au moins mon excuse à moi tient debout. “Ce n'est pas comme tous ces imbéciles”. Puis il prend le chauffeur à part, et tente de lui faire dire. L'autre joue le niais. Résultat des courses, on passe une heure et quart au soleil à attendre. Interdiction d'aller dans les véhicules prendre de l'eau ou quoi que ce soit. Nos papiers sont confisqués, les clés des voitures aussi.

Quand ils estiment avoir assez de fretin dans le filet, on forme une caravane, et tous les véhicules capturés, sous escorte, sont ramenés au premier checkpoint sur la 90. Là, tous le monde récupère ses papiers et ses clés. Sauf nous. Je demande pourquoi : ordre du chef. Lequel chef repart avec la meute chasser encore un peu de petit gibier. Après un moment les papiers de tout le monde arrivent, sauf les miens. Le planton m'explique qu'on me contrôle auprès de la Shabak, la police politique. Visiblement je n'ai jamais été repéré nulle part, puisque je ressors de l'examen blanc comme neige. Il est 18 heures...

On repart vers Jérusalem. Ou Ramallah. Peu importe. Et puis à un croisement, le chauffeur lâche une imprécation, tourne à droite, et met le pied au plancher. Après un moment, il nous explique ce qu'il vient de décider. Puisqu'on a été refoulé de toutes les routes palestiniennes, il a décidé de prendre... une route israélienne. Au culôt. Le calcul s'avère payant, puisque, roulant à tombeau ouvert, nous arrivons à l'intersection des routes de Naplouse et Tul Karm, dans la zone des colonies d'Ariel et Immanuel. A un moment, petite frayeur, une jeep nous arrête, nous contrôle, nous fouille. Le chef, sous des airs de gros dur, nous fait en fait une fleur, engueule copieusement le chauffeur parce qu'il est sur une route interdite, puis vient me dire que c'est un show pour ses hommes, mais que je dois dire au chauffeur d'attendre qu'ils soient partis et de continuer notre route. Une jolie fleur qu'il nous fait. Là, il nous faut réussir à retrouver une route palestinienne. On y parvient en traversant une oliveraie, dans des cahots invraisemblables. On voit les pistes successives et les interventions des bulldozers pour les boucher. Après s'être fait quelques frayeurs, nous voilà sur la route qu'on cherchait, petite route de campagne. Le soleil commence à baisser dans le ciel. Et... on manque de ne pas les voir. Les soldats, au bord de la route, braquent leurs armes vers nous.

Au début, c'est tendu. Tous les sacs sont vidés, le contenu éparpilllé sur le macadam. Quand on arrive à mon sac, la poche avec tous les câbles de mon ordinateur inquiète le soldat. Alors que jusqu'à maintenant nous étions maintenus à distance, il me demande de venir vider le sac moi-même. Mon ordinateur fait un bel effet. Longue série de questions par un semi analphabête qui ne comprend pas le quart de mes réponses, mais est obligé de faire semblant pour ne pas passer pour un con.

Il nous dit qu'il devrait nous arrêter parce que nous n'avons pas le droit d'être là. Magnanime, il se contente... de nous renvoyer d'où on vient.

Maintenant, il fait nuit. Je n'aime pas ça du tout, rouler la nuit en pleine cambrousse avec une interdiction de circuler, de nuit... c'est dangereux.

A un moment, paysage fantômatique, un squelette de forteresse, et des colonnes antiques alignées le long de la route... Sebasti, ça s'appelle. Un poil plus loin... un contrôle. Le chef fait un grand cas de moi, mais je me rends compte vite que c'est n'importe quoi : il tient mon passeport à l'envers. Il nous retient une bonne demi heure, avant de nous laisser continuer.

Résultat des courses, je suis arrivé chez moi à Jénine à 20:40. Plus de sept heures et demie pour faire en gros quatre-vingt kilomètres.

Écrit par O. le 20 mars 2004 à 13:33