02 novembre 2003
Petit lexique d'un conflit : F comme fermé

Vendredi était le premier vendredi du Ramadan, un évènement religieux important. Tout musulman qui en a la possibilité veut se rendre sur l'esplanade des mosquées pour prier. Certains journaux remarquaient que l'armée israélienne avait pour l'occasion interdit l'entrée de Jérusalem à tout homme de moins de 45 ans.

C'est ignorer deux choses : d'abord, c'est le cas au moins un vendredi sur deux, et ensuite, de toute façon, toutes les routes qui mènent à Jérusalem sont régulièrement fermées.

Aujourd'hui, on ferme.

Inspirez...


C'est la première question qu'on pose au chauffeur de taxi collectif : "c'est ouvert ?"

Souvent on lit la réponse sur les visages. Eux aussi, souvent, sont fermés. Il y a tellement de choses qui peuvent être fermées entre deux points de la Palestine. Une route peut être fermée. Un checkpoint peut être fermé. Une ville peut être fermée. Le traffic automobile peut être interdit. Le tout sans préavis, à n'importe quel moment.

La rentrée scolaire 2002 à Jénine n'a pas eu lieu : la ville était fermée. Anatomie d'une fermeture :

La veille au soir, tout allait bien. On pouvait voir dans les cours et les jardins des petites filles essayer leurs tabliers tous neufs, on pouvait voir les cartables avec des Pokemon dessus, et il y avait la queue en centre ville dans les papèteries, comme une atmosphère de fête. La rentrée, peut-être que les choses allaient reprendre leur cours normal, après un été abominable, des chars dans les rues pratiquement tous les jours depuis avril.

Et puis la nouvelle est tombée à la télé. La ville serait fermée pour la rentrée.

Ca peut tomber n'importe où, n'importe quand. En pleine campagne, une jeep peut arrêter votre taxi et vous dire que la route est fermée. Vous pouvez poireauter deux heures à un checkpoint puis voir tout le monde repartir : le checkpoint vient de fermer. Vous pouvez être en train de faire vos courses, et d'un seul coup voir tout le monde partir en courant : les chars sont en ville, on ferme.

Vous pouvez rester enfermés chez vous. Un jour. Deux jours. Une semaine. Un mois, avec quelques heures par semaine pour aller faire les courses.

Votre ville peut être ouverte, mais pas votre quartier. Allez, ouste, à la maison. Votre ville peut être coupée du monde. Jericho est coupée du monde depuis bientôt deux ans.

Vous pouvez vous faire arrêter en plein désert, et devoir rester là des heures, parce qu'une jeep ferme la route, mais vous interdit de repartir. Au bout d'un moment, sans prévenir, elle s'en ira, sans vous dire si vous pouvez bouger ou pas. Dans le doute, vous attendez.

Vous pouvez vous lever le matin et découvrir que votre rue a été défoncée par un bulldozer pour en faire un cul de sac. Vous pouvez vous lever le matin et découvrir la ville déserte. Un silence pesant, seulement déchiré par les rugissements des moteurs des blindés. Il n'y a pas d'heure pour décréter la fermeture d'une ville. Une heure, deux heures, quatre heures, la nuit, le jour, à midi, à l'heure de la prière...

Aller travailler d'une ville à une autre suppose que :
a) votre propre ville n'est pas fermée
b) le ou les checkpoints sur la route ne sont pas fermés
c) la circulation entre les villes est autorisée
d) la ville de destination n'est pas fermée.

Si ces quatre conditions sont réunies, vous pouvez vous mettre en route. Mais vous savez que chacune de ces conditions peut changer en un clin d'oeil. Si vous avez vraiment besoin de vous déplacer, vous prenez le risque. Sinon, vous restez chez vous.

Les marchandises ne passent pas, les gens ne passent pas.


Avril 2002 : Ramallah fermée

En Palestine, la vie est fermée. Par décret.

Respirez. C'est fini.

Écrit par O. le 02 novembre 2003 à 11:03
Réactions

DE petit scarabée à Grand ManitO.
G.comme Génération??

Mis à jour par Marc le 02 novembre 2003 à 12:52