Quel instinct ! Quand j’y pense …
Vers la mi-Mars, je me suis acheté des chaussons «norvégiens». Rouges. Et je ne les ai pratiquement plus quittés depuis. Imaginez vos pieds portant de ces magnifiques pull-overs rouges. Avec col roulé. Et semelles en cuir, tout de même.
Et paf, une semaine après, confinement.
L’instinct.
Notez, si j’avais vraiment eu l’instinct, j’aurais aussi acheté deux cent vingt-sept paquets de nouilles, ce jour là. Les bonnes nouilles, hein. Les nouilles d’avant. D’avant le virus.
Quoi qu’il en soit, mon confinement est stylé «chaussons rouges».
Le premier jour de confinement, ou peut-être le second, visite du Super‑U d’à-côté. Enfin, à‑côté… ça fait tout de même une trotte, hein. Et là … désolation. Plus de nouilles en rayon, et plus de jambon non plus. J’imagine que j’aurais pu me mettre en rogne, mais en fait ça a été la tristesse, plutôt.
Non mais, sérieusement, est-ce que la France est devenue schizophrène ?
Est-ce que c’est vraiment la même France qui le lundi se rue sur les rayons de mon Super‑U breton, et le mercredi commence à applaudir frénétiquement des infirmières ? D’autant qu’à périodes pratiquement fixes la même France a vu les mêmes infirmières manifester dans la rue sans même jeter un œil sur des panneaux du genre «Aujourd’hui, vous comptez les sous, demain on comptera les morts» ? Et on parle encore des infirmières qui, sur leur lieu de travail, continuaient à bosser d’arrache-pied, faisant en gros le même boulot qu’aujourd’hui, celui que la France applaudit à 20:00, forçant Notre Président Tant Aimé à programmer (et le faire savoir) ses interventions à part de vingt-heures *et deux minutes*, avec simplement dans le dos, gribouillé au feutre sur la blouse, un lapidaire «en grève».
C’est ça, le pressentiment, peut-être, qui m’a rendu triste devant les rayons dévastés.
En Angleterre, aujourd’hui, il paraît que les infirmières portent, gribouillé au feutre sur leurs blouses, le nom de leurs collègues mortes. Ces même morts que les panneaux, dans toute l’Europe austère d’avant, nous annonçaient. Et elles continuent de bosser d’arrache-pied
La France magnifique, que dis-je, héroïque, est la même que celle qui parle des grévistes en les nommant «preneurs d’otages». Et qui passe son temps aujourd’hui à gloser sur un «demain» qui n’aura naturellement plus rien à voir.
Moi, j’ai mes chaussons rouges. D’avant. Et je ne suis pas certain que demain, mes pieds ne se pavaneront pas dans leurs pull-overs rouges, à semelles cuir.
Et hier, le rayon nouilles était encore aux trois-quarts vide.
Quel instinct !
Une réponse à Le temps des chaussons rouges …