02 juin 2005
[flashback] - prologue

Ça fait maintenant plus de deux ans. Deux ans que j'ai quitté la ville de Jénine, dans les territoires palestiniens occupés, par la petite porte, celle de la fuite en cachette. Plus de deux ans, en fait.

J'ai quitté Jénine, mais Jénine ne m'a pas quitté.

Je passe pas mal de mes nuits à marcher dans les rues désertes et silencieuses, devinant le regard des gens depuis les fenêtres. Toujours au même carrefour, je m'arrête, et j'essaie de voir sous le filet de camouflage qui recouvre la façade d'une maison qui donne sur la place; j'essaie de voir si je peux traverser sans déclencher une poursuite, ou pire.

J'essaie de discerner au loin les premiers grondements qui annoncent dans la nuit l'arrivée des chars.

Mon voisin est un sniper.

Des lasers rouges et verts explorent les toits où dorment encore certains des naufragés des destructions d'avril.

Je pleure, recroquevillé dans une encoignure, dans le fracas des moteurs et des mitrailleuses.

Je suis allongé dans un fossé, presque sous un char, et mon téléphone se met à vibrer, puis sonner, pendant que je cherche frénétiquement à le sortir de l'étui attaché à ma ceinture.

Quand je me réveille, je suis vide. Je pleure, souvent, sans trop savoir pourquoi, quand je suis seul. Je ferme consciemment les portes de certains futurs.

C'est là que le bât blesse. Ce sont les portes de ce passé qu'il me faut fermer. Il faut, que finalement, je me décide à quitter Jénine.

J'ai un certain nombre de comptes à régler :

avec mon syndrome de stress post-traumatique, récemment diagnostiqué, puis démenti - va comprendre;
avec les gens de Jénine, auxquels je dois un livre;
avec les gens qui m'ont fait confiance et m'ont aidé à rester à Jénine, pour écrire ce même livre;
avec mon présent, mes amis, et P., qui méritent mieux que ce que j'ai à proposer depuis mon retour.

Si faute avouée est à moitié pardonnée, peut-être que problème diagnostiqué est à moitié résolu ?

J'en doute. Rien n'est si facile. Une chose que je peux faire, cependant, c'est parler. Tenter de donner une forme tangible à ce "livre" qui vit en moi, que des gens ont en vain attendu, et qui est peut-être, enfin, pour moi, la clé pour refermer la porte. Puisque je n'arrive à parler à personne, parler à tout le monde.

C'est un vrai problème, parler.

C'est une question de vocabulaire. Si je dis "char", mon interlocuteur voit généralement un véhicule chenillé avec un canon qui pointe à l'avant. Un interlocuteur un peu averti saura le nom du modèle, peut-être. Seul quelqu'un ayant vécu là-bas peut à la seule invocation du nom "char" avoir l'image complète, avec le bruit du moteur, la poussière qui vole, le sol qui tremble, le grincement des chenilles, les rues qui se vident, la terreur abjecte qu'on éprouve, dans le noir, épinglé comme un papillon sur sa planche de liège par la lumière du projecteur fixé sur le toit du monstre. L'odeur d'échappement de diesel. La croûte de poussière amalgamée sur le blindage. Le bruit de la tourelle qui pivote. Le bruit du couvercle de la trappe qui se ferme. La fermeté odieuse du canon pointé comme le doigt du bourreau.

Comment passer par-dessus le fossé du vocabulaire, le fossé de l'expérience, comment exorciser le traumatisme sans le transmettre, sans le fuir non plus ? Comment ?

J'ai déjà écrit beaucoup, au présent. Il me faut maintenant écrire au passé pour me débloquer la porte du futur.

Je ne sais pas encore si je ferai ce voyage seul. Si vous le lisez, sous une forme ou une autre c'est que vous êtes invité. Sans obligation.

Retour en Palestine, pour pouvoir enfin la quitter. Regarder Jénine en face pour pouvoir, juste en tournant la tête, rencontrer mon propre regard et celui des gens que j'aime.

J'ai un plan.

Mettre face à face mon passé, l'image que j'en ai, et mon présent. Je vais reprendre des morceaux de "Brest-Jérusalem", le mal-nommé récit à fleur de dépôt de mes pérégrinations palestiniennes, et les confronter à ce que je n'ai pas dit à l'époque, ce que j'ai appris depuis, et ce que je suis maintenant.

Et puis faire revenir à la surface ce que je n'ai raconté à personne. Invoquer, j'espère pour la dernière fois, mes démons personnels. Les exposer à la lumière pour les remettre à leur place.

Brest-Jérusalem parlait beaucoup des autres autour de moi, il est temps de rajouter la partie de l'histoire qui manquait.

Chaque "épisode" est en chantier. J'ai décidé d'ouvrir le chantier au public. Port du casque à discrétion.

Écrit par O. le 02 juin 2005 à 09:46
Réactions

P'tain !
C'est pas trop tôt. . . !

Par contre, si tu veux que le livre sorte un jour, il faut pas y travailler en dilletante, même pas à mi-temps.

Mets toi en congé de ta boîte de soiffards pour un an ou deux et vas-y écris et ne demande l'avis de personne.

Mis à jour par pierre amoretti le 03 juin 2005 à 15:12

Et je mange comment hein ? Je ne peux pas me permettre de ne pas travailler un an.

Mis à jour par O. le 03 juin 2005 à 15:16

Je sais pas.

Enfin, j'ai pas la réponse pour toi. Je l'aurais pour moi qu'elle ne te correspondrait pas.

Je pense pour ma part que tant qu'on bosse on écrit pas.
Ca ne veut pas dire :
- que c'est une bête conception romantique (voire romanesque) du boulot d'artiste qui doit crever la dalle pour produire,
- ni que ceux qui bossent pas peuvent obligatoirement écrire

mais plutôt, qu'écrire est un boulot à plein temps (et pas 35h/semaine, plutôt 50h)

A partir de là, chacun se débrouille pour manger. Si je ne m'abuse c'est écrit en long et large par Miller dans la Cruxifiction en Rose et les Tropiques. Peut-être que tu aimes pas ?

Si tu veux on peut se défier .

Mis à jour par pierre le 03 juin 2005 à 22:05

J'ai pas lu Miller. Tu sais bien que je suis relativement inculte.

Se défier ? Qu'est-ce que tu veux dire ?

Mis à jour par O. le 03 juin 2005 à 23:50

Keep cool . . .

Miller j'aime. Il faut aimer parcequ'à part le cul (pas plus 15% à la louche finalement) il ne parle que d'une chose:
comment il s'est mis à écrire. (ce qui fait 85% à la même louche)

A propos de bouffer et écrire lis "Jours tranquilles à Clichy" . Même si c'est pas le meilleur à mon sens , il est bref et il y a un passage sur le "crevage de dalle" pas mauvais.

Pour le défi, je te dis demain. . .

Mis à jour par pierre le 03 juin 2005 à 23:59

Le défi c'est plus pour moi que pour toi.

C'est comme ça que je fonctionne, ainsi que pas mal de frères humains qui avant et après nous vivent . . .

Le défi:

Le premier de nous deux qui publie son livre a gagné.

J'estime avoir perdu de toutes façons si avant un an (juin 2006) il n'est pas sorti.
Il ne sera pas très gros, à petit tirage et concerne le seul sujet qu'en tant que monomaniaque je connaisse : la Liberté.

Je t'invite à la souscription dont les modalités ne sont pas encore définies ( compte moins de 100 euros)

Si je pers en juin prochain je t'enverrai la somme en question pour que tu puisses manger ;^o

Mis à jour par pierre le 04 juin 2005 à 10:21

Houla.

C'est totalement différent : tu parles d'écrire puis de publier. Pour ce qui est de la publication, c'est une toute autre histoire. Je n'y connais rien, à ça non plus, et je ne saurais même pas par quoi commencer.

Alors, écrire, ou publier ?

Encore qu'à la réflexion, écrire, je n'y connais rien non plus. Mais ça ne fit rien.

Mis à jour par O. le 04 juin 2005 à 10:58

Eh dis-moi, si tu écris c'est pour être lu non ?
T'es pas madame Bovary que je sache ?

Etre lu c'est être publié, que ce soit dur papier ou sur net.

Pour ma part au bout de quelque 100 mots je décroche sur écran.
Faut pas m'en vouloir mais je n'arrive pas à lire sur écran. J'ai essayé, j'y croyais, j'ai téléchargé il y a des années des livres sur Palm, mais je pouvais les lire.

Donc te préoccupe pas d'être publié, occupe toi seulement d'être lu.
Pour être lu , il faut écrire, y'a pas !

Tu commence à écrire et puis tu vois après.

Je te rassure, le plus dur ce doit être d'écrire.

Pour trouver à être publié tu peux reprendre une activité salariée pour t'en occuper.

Rendez-vous dans 1 an ?

Mis à jour par pierre le 04 juin 2005 à 14:10

Encore qu'à la réflexion, écrire, je n'y connais rien non plus. Mais ça ne fit rien.

Si seulement tu pouvais te débarrasser de cette modestie à deux francs six sous...

Mis à jour par Zarathoustra le 04 juin 2005 à 23:19