01 juin 2005
[flashback - épisode troisième] C'est parti !

31 mars 2002. La nuit va tomber, et pas question de circuler la nuit. Dans un coin du bureau, il y a un ordinateur avec une méchante connexion à l'internet par modem, et un clavier arabe / anglais sans accents.

18:55 Ramallive...

Je suis a Ramallah. je travaille avec les ambulances, pour que les controles se passent le moins mal possible. Quand ils sont seuls, ils se font tabasser. C'est tres tendu.

La circulation des ambulances est quasiment impossible dans le secteur ou je me trouve. On se fait arreter et fouiller tous les 50 metres.

On fait relache pour la nuit. On entend des tirs.

Je sais qu'une quarantaine d'internationaux sont avec Arafat. Trois d'entre eux ont ete arretes.

Ramallah est devastee, deserte.

Il y a des chars et des transports de troupes un peu partout. C'est tres laid.

Un abruti a eu l'idee de genie de se faire sauter a Haifa. Ça ne va rien arranger.

Demain matin, au lever du jour, on remet ca.

Quelques mots, tant -et probablement plus- pour rassurer que pour informer. Il en manque beaucoup.


L'accueil que nous avons reçu à l'UPMRC est chaleureux, sans plus. Personne n'a le temps d'être réellement chaleureux de toute façon. Je trouve là une équipe d'ambulanciers palestiniens avec un docteur, et quelques volontaires : trois jeunes françaises et une américaine. Les Danois qui m'accompagnaient repartent aussitôt. J'apprendrai plus tard qu'ils sont sortis de Ramallah sans autre problème que l'excès de zèle de quelqu'un à leur consulat qui leur a interdit de passer Qalandiah sans lui, ce qu'ils auraient pu faire aisément.

Alors, que n'ai-je pas raconté dans ces quelques mots ?
Peu après mon arrivée, deux des françaises se font reconduire à l'hôtel où encore beaucoup de "volontaires" se trouvent. Le médecin est furieux de ce qu'elles ont laissé l'équipage de l'ambulance qui les a reconduites sans protection pour le retour. Je reste avec une dénommée Latifa, que je reverrai quelques mois plus tard, de retour. Nous voilà partis.

Circuler en ambulance dans Ramallah n'est pas simple. Il y a des barrages à tous les coins de rue. À chaque barrage, le véhicule est fouillé. Ça se passe plus ou moins bien, l'ambiance est plus ou moins tendue, allant de la gène avec des soldats tentant de se justifier (on a beau dire et expliquer, jeter sur le pavé le matériel d'une ambulance, ça la fout mal) à l'hostilité pure et dure (avec piétinement optionnel du matériel jeté sur le pavé) accompagnée de violence verbale et physique. J'ai été un peu bousculé. Rien de bien grave, mais pour le principe, c'est gênant. Ce sera bien pire le surlendemain.

1er avril 2002 - à tâtons...

Les portes des placards des ambulances sont en plexi transparent, ca devrait rendre l'inspection facile, mais non : souvent, ils foutent tout sur le plancher, quand ce n'est pas sur le bitume. Rectification; ce qui reste du bitume. Les blindes et le mobilier urbain ne font pas bon menage. Il y a des cables electriques qui pendent partout, les trottoirs sont tous a refaire. Mentionnons au passage l'incroyable quantite de voitures ecrasees; soit les conducteurs de blindes sont bigleux, soit ils n'aiment vraiment pas les voitures.

Comme dans un mauvais film comique, on nous laisse passer à un barrage, et on se fait refouler par le suivant, qui nous renvoie au premier, lequel nous refoule puisqu'ils ont ordre de ne laisser passer que dans un sens, et ainsi de suite. On s'en tire finalement en traversant quelques jardins, sous les yeux des soldats qui le voient très bien et s'en foutent. Ça les amuse plus qu'autre chose.

Nous ne transportons pas de blessés : c'est réservé au Croissant Rouge, qui semble rencontrer des difficultés bien pires que les nôtres, ce qui n'a rien d'étonnant vu le contexte. Nous, on transporte essentiellement des malades, et / ou des médicaments ou de la nourriture pour malades.

De retour au bercail après quelques tournées, on nous envoie, Latifa et moi, dans les rues, à pieds, vérifier si les bureaux de Mustafa Barghouti ont été fouillés. Sur le moment, je ne réagis pas, mais avec le recul je trouve gonflé d'exposer des gens au danger que ça représente de circuler à pieds dans une ville sillonnée de soldats nerveux, juste pour vérifier si une porte est fermée ou ouverte. D'autant que bon, si ça avait été fouillé, on y pouvait quoi, hein ?

Cela dit, nous voilà sur le trottoir. Maintenant que je connais les lieux, je sais à quel point la distance était courte, mais qu'est-ce que ça m'a paru long... la ville est morte. Tout ce qui bouge est kaki et hostile. Il y a des voitures aplaties, des portes enfoncées. Un keffieh ensanglanté par terre.

Tous les coins de rue nous regardent de travers. Une conduite d'eau éventrée ajoute au foutoir ambiant. Des fils électriques pendent. On se fait la conversation pour ne pas laisser la réalité arriver au cerveau. On est dans un sacré merdier, la voilà la réalité.

On se fait intercepter par une patrouille et on s'en tire au baratin. Bien.

Latifa m'impressionne. Elle doit avoir 20 ans, je ne sais pas pourquoi elle est là, mais elle y est, et rien que ça, ça mérite le respect. Elle reste - pour ce que j'en vois, mais est-ce que je sais la lire ? - très calme. Pour la petite histoire, je m'impressionne aussi moi-même. Si on m'avait annoncé le programme du jour au petit déjeûner, je ne sais pas si j'aurais trouvé l'idée amusante. Mais bon, je fais de mon mieux, et je ne suis pas encore parti en courant, donc je suppose que je tiens le choc. En fait maintenant (2005) je sais que le prix à payer mettra deux ans à se déclarer.

De retour au bureau, on se prépare pour la nuit, on mange. On se découvre, on échange des prénoms.

J'ai Claude au téléphone. Elle est enfermée à la Muq'ata avec une trentaine d'autres internationaux. Je ne me doutais pas qu'elle y était pour un bon moment. Avec elle, José Bové, qui lui n'est pas resté longtemps. Plus deux ou trois personnages dont je ferai connaissance par la suite.

Je suis épuisé, et je finis par m'endormir sur un matelas. Mon téléphone sonne, c'est un journaliste, je ne me souviens pas qui. Je ne me souviens pas de ce que je lui ai raconté. Je sais seulement que le lendemain, quand j'ai appelé ma mère pour lui dire que j'étais dans un quartier tranquille, elle m'a répondu (assez froidement, m'a-t'il semblé) qu'elle venait de m'entendre sur France-Info et que mon récit ne donnait pas lieu à la plaisanterie. Curieux, parce que je suis persuadé que le type auquel j'ai parlé était un correspondant de la presse écrite.

Dans la nuit, j'ai été réveillé plusieurs fois par des passages de chars.

Écrit par O. le 01 juin 2005 à 19:57
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