25 novembre 2004
Marwan Président ?

D'après l'Associated Press, Marwan Barghouti a fait part de son intention de se présenter à l'élection pour être président de l'Autorité Palestinienne.

Je ne vous le cache pas : je suis bien content. En suite, un texte paru dans Ha'aretz en 2002 à propos de Barghouti, que j'avais traduit et cité à l'époque...

Entre les oreilles : Rien - au bureau


Ecoutez Barghouti (Gideon Levy)

Il est bon qu'Israël n'ait pas tué Marwan Barghouti; mais c'est dommage qu'il l'ait arrêté. Après des dizaines d'assassinats, les FDI ont soudainement prouvé que quand elles veulent arrêter quelqu'un au lieu de l'assassiner, elles savent très bien le faire. Si seulement Israël avait adopté la même approche avec le militant du Fatah Dr. Thabet Thabet, ou le leader du Front Populaire pour la Libération de la Palestine, Abu Ali Mustafa, plus une longue liste de Palestiniens pris pour cibles, les flammes de l'Intifada seraient bien moins hautes, et beaucoup de sang aurait été économisé de chaque côté.

Cependant, de façon regrettable, Israël n'a pas choisi le chemin le plus sage et laissé le leader du Tanzim rester dans la clandestinité, comme il l'a fait avec certains des autres responsables des services de sécurité palestiniens qui, selon Israël, sont impliqués dans des attaques terroristes. Arrêter Barghouti était peut-être juste, mais pas sage. Maintenant il va devenir le Nelson Mandela palestinien.

Maintenant que Barghouti est sous les verrous, Israël doit le faire passer en jugement devant un tribunal civil, comme il se doit dans le cas d'un leader politique suspecté de crimes sérieux. Quant à la différence entre tribunaux civils et militaires, on a déjà dit que c'est à peu près la même différence qu'entre un orchestre philarmonique et une fanfare militaire : mêmes instruments, mais résultat différent.

Barghouti a de bien plus grandes chances d'avoir un procès équitable - auquel, comme tout suspect, il a droit - dans un tribunal civil à Jérusalem que dans les tribunaux militaires de Beit El. Les audiences devraient être publiques, pour que les représentants du service de sécurité Shin Bet et le procureur général soient amenés à montrer au monde entier leurs preuves contre cet homme. Et est-il nécessaire de souligner que Barghouti ne doit pas être torturé, comme c'est arrivé la dernière fois qu'il a été arrêté ? L'humilier attiserait également les flammes de rage dans les rues Arabes et Palestiniennes.

Il n'est pas moins important que nous écoutions l'accusé. Non seulement le Shin Bet pourrait apprendre pas mal de lui, mais tous les Israéliens devraient également prêter attention. Regardez Barghouti et vous comprendrez toute l'histoire. Le chemin qu'il a emprunté est le seul que nous ayons montré aux Palestiniens, un chemin sur lequel nous avons trébuché, et les avons poussés de plus en plus profondément dans le désespoir, et finalement dans la violence.

Barghouti a beau être responsable pour d'impitoyables attaques terroristes, Israël risque cependant d'appeler de ses voeux des leaders comme lui, parce que ses héritiers seront bien, bien pires. Animés par la vengeance et la haine, ils ne seront pas les partenaires pour un compromis comme lui le serait. "Vous croyez que demain ils trouveront quelqu'un de plus modéré que moi, quelqu'un qui ferait son café à Mofaz [Shaul Mofaz, chef d'état-major] le matin ?" m'avait-il lancé il y a quelques mois alors qu'il craignait être sur la liste des gens qu'Israël voulait exécuter.

Barghouti n'a pas débuté comme assassin. En tant que politicien, apparemment devenu terroriste, il ne sera pas dit de lui qu'il n'a pas essayé d'emprunter le chemin de la négociation. Il était un militant pacifiste. Peu de Palestiniens ont été aussi actifs que lui à promouvoir la paix. Il était en contact étroit avec de nombreux Israéliens - et pas seulement de gauche - et n'avait jamais caché son admiration pour certains éléments de la vie israélienne. "Je me réveille le matin en regardant vers l'Ouest, pas l'Est", m'a-t-il dit un jour. En ce temps-là, il défilait dans les manifestations pour la paix aux bras des législateurs du Meretz Dedi Zucker et Zahava Gal-On.

Cette image peut paraître surréaliste maintenant, tout comme celle des jours où il amenait ses enfants au parc animalier Safari de Ramat Gan. Il visitait les comités centraux des partis politiques, des députés, se liant d'amitié avec certains d'entre eux dans des délégations communes à l'étranger, ne ratant jamais un meeting et croyant toujours au dialogue. "Quand finirez-vous par comprendre que rien n'effraye les Palestiniens autant que les colonies ?" me demanda-t-il en 1997, au Jour de la Terre [fête palestinienne commémorant la résistance d'un village contre des colons, ndt], alors que nous slalomions autour de pneus enflammés dans sa petite voiture.

Il y a quelques mois, alors qu'il était déjà entré dans la clandestinité, il se nommait lui-même "le camp des pacifistes Palestiniens". Diplômé des prisons israéliennes, Barghouti est pratiquement le dernier spécimen de ces Palestiniens qui connaissaient des Israéliens et admiraient même certaines de leurs caractéristiques. "Je me souviens comme nous étions patients", a-t-il dit récemment, "j'étais prêt à rencontrer Shas et le Likud - tout le monde. A discuter. A persuader. Mais les Israéliens ne veulent pas comprendre." L'être aimé est devenu un ennemi. "Je sais combien j'ai changé", admet-il.

Par dessus tout - et il faut le croire à ce sujet - il voulait la fin de l'occupation, pas tuer des Israéliens et détruire leur état. Mais le chemin est devenu de plus en plus long, jusqu'à devenir, pour lui, interminable. Comme dans toute affaire criminelle, il faut prêter attention au mobile du crime : le mobile de Barghouti était justifié politiquement, même si ses actions ne peuvent pas l'être. Le politicien est devenu le leader d'une organisation armée ayant choisi la terreur. Au début, il a limité les actions de son organisation aux territoires occupés, poussant apparemment l'escalade jusqu'à finalement envoyer des kamikaze à Tel Aviv. "Pourquoi devriez-vous vous sentir en sécurité à Tel Aviv alors que nous ne nous sentons pas en sécurité à Ramallah ?" demandait-il.

L'image de Barghouti menotté par des soldats israéliens nous ramène terriblement loin en arrière. L'ancien prisonnier et déporté, devenu un leader et un partenaire légitime pour le dialogue, est de nouveau aux fers. Les chars israéliens sont dans les casbahs, les soldats sont dans les camps de réfugiés, on a rouvert la prison de ketziot, et Barghouti est à nouveau sous les verrous. Le long chemin que Palestiniens et Israéliens avaient fait ensemble a apparemment disparu, comme si il n'avait jamais existé. Quand Barghouti sera à nouveau libéré, il sera même plus extrémiste. A ce moment là, peut-être il n'y aura plus personne à qui parler.

"Voilà notre cadeau pour Independance Day", comme définissait un officier des FDI de façon si arrogante son arrestation. Aucun cadeau ne pourrait être plus déprimant.

Écrit par O. le 25 novembre 2004 à 19:06
Réactions

Moi aussi je suis pour Barghouti, est depuis le debut de son emprisonnement je vois un investissement israelien.

Barghouti est un criminel responsable d'attentats, ce qui suffit a lui donner une aura aupres de la rue palestinienne.
Il est pour la continuation de l'intifada. Et honnetement je peux le comprendre, voire meme je me mefierais d'un dirigeant palestinien qui dirait le contraire; ca voudrait dire qu'il a un sale plan derriere la tete (cf. la cuisson du homard). Il n'y a pas de raison que la revolte des palestiniens cesse tant qu'ils vivent dans la merde et sans passeport. Ce qui n'empeche pas que les tueurs soient sur notre ligne de mire. Ils peuvent se revolter sans essayer tuer tout ce qui est juif dans leur rayon d'action.

Mais surtout:
1- Il est intelligent
2- Il a appris l'hebreu en prison, et j'ai pu constater qu'il le parle tres bien.
3- Il est vraiment palestinien (pas comme Arafat)
4- Il a un cote solitaire, meme quand il etait libre, ce qui veut dire qu'il sait decider seul, en homme d'etat.

C'est peut-etre naif, mais un vrai palestinien, fort, laique, avec un cerveau, et avec une authentique curiosite sur la culture israelienne, ca me convient tres bien comme partenaire de negociation. Il y a des chances que ce soit lui le Mandela palestinien.

Mis à jour par boq le 26 novembre 2004 à 11:27

Barghouti avait une aura dans la rue palestinienne bien avant ça, Boq. Membre du conseil législatif palestinien, aussi. Et militant *pacifique* de longue haleine.

Mis à jour par O. le 26 novembre 2004 à 11:34

Il faudra faire sauter la vieille garde au passage :

"Le Fatah a tenté de convaincre Marouane Barghouti, son dirigeant pour la Cisjordanie actuellement détenu en Israël, de ne pas se présenter à l'élection présidentielle du 9 janvier afin d'éviter les divisions dans les rangs palestiniens."
Reuters, via Libé

Mis à jour par loïc le 26 novembre 2004 à 14:52