07 juillet 2004
L'art et la manière ...

On l'a ou on ne l'a pas. Le talent. Particulièrement celui de la polémique.

Vous vous en doutez, de l'autre côté de la mare aux harengs, il y a un certain nombre de gens dont le passe-temps favori est d'amener au grand jour ce qu'ils appellent "les mensonges de l'anti-américain Michael Moore".

Avertissement : je n'ai pas vu le film dont tout le monde cause, ni l'autre. L'autre étant aussi un "documentaire" consacré à Michael Moore pour montrer combien il est mauvais, méchant, menteur, pervers, cynique... euh... j'ai tout ?

Ne pas avoir vu le film ne m'empêche pas d'avoir une opinion : me basant sur le reste de l'oeuvre de Moore que je connais, à savoir deux livres, un film, et un certain nombre d'émissions télé plus le contenu de son site que je consulte assez régulièrement, je sais à quoi m'attendre.

Je m'attends à un film qui va me mettre la tripe à l'envers, et qui va me faire rire. Je m'attends à un film qui caricature à gros traits. Je ne m'attends *pas* à une encyclopédie, un film à mettre sous microscope atomique , à regarder si la virgule penche à droite ou à gauche.

C'est un film orienté, mais qui l'ignore ? On le regarde dans cette perspective là, et tout va bien.

Mais ça n'empêche pas les mauvais coucheurs.
Les mauvais coucheurs, quand on leur dit "mais on n'a pas trouvé d'armes en Irak" répondent sans sourciller: "non, mais il y ont pensé, il y avait des velléités de programmes, et c'est pareil". Les mêmes mauvais coucheurs prennent leur loupe, leur casquette de Sherlock Holmes, et dissèquent le film de Moore.

Morceaux choisis :

One of the biggest laughs in the film comes from a clip of George W. Bush espousing about terrorism and then hitting a golf ball. The insinuation is that Bush's mind is on golf instead of the terrorism acts of Sept. 11, 2001. Instead, Moore doesn't mention Bush was talking about a suicide bombing attack in Israel.

Un des plus grands éclats de rire dans le film vient d'un extrait où on voit George Bush parler de terrorisme et ensuite frapper une balle de golf. L'insinuation est que Bush à la tête au golf plutôt qu'aux actes de terreur du 11 septembre. En revanche, ce que Moore ne dit pas, c'est que Bush parlait d'une attaque suicide en Israël.

Ah.
Aaaaaaaaaaaah.
Aha-ahaha.
Je suis confondu par la puissance de l'argument.
Bush parle à la caméra, sérieux comme un pape, et encourage tous les états du monde à le joindre dans la lutte contre le terrorisme. Sans transition, il cligne de l'oeil, dit "eh, matez-moi un peu ce swing", tape la baballe, et c'est sensé faire une différence qu'il parle d'un attentat en Israël ou aux États-Unis ?!?

Le reste de l'article est plein de pinaillage à propos de numéros de téléphone verts qui ne sont pas verts mais azurs, ou le contraire,

Moore also says "only one" congressman has a child in Iraq. This may be literally true, but still a misleading fact. The "only one" is probably referring to the son of Rep. Duncan Hunter who is currently serving in Iraq. However, Sen. Tim Johnson's son just recently ended his military tour in Iraq. Sen. Joseph Biden's son quit his job shortly after 9/11 to join the military, but is not currently serving in Iraq.
Moore dit aussi qu' "un seul" député a un enfant en Irak. C'est peut-être littéralement vrai, mais c'est encore de la désinformation. Le "un seul" est probablement une référence au fils du député Duncan Hunter actuellement sous les drapeaux en Irak. Cependant, le fils du Sénateur Johnson vient juste de revenir d'Irak. Le fils du sénateur Joseph Biden a quitté son travail peu après le 11 septembre pour rejoindre l'armée, mais n'est pas en Irak pour le moment Haaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa..... Ben oui. Moore, à un instant donné, dit : "un seul". Et d'ailleurs il n'y en a qu'un. Mais ce salaud de Moore ne compte pas ceux qui auraient pu, auraient bien voulu mais ya piscine, ont failli, viennent de partir, allaient justement y aller, pensaient y aller, avaient un prgramme pour y aller... Ben oui. Mais bon, au bout du compte, il dit "un" et il y en avait "un".

Notez qu'on pourra toujours lui reprocher de ne pas mettre régulièrement le film à jour, hein.

Moi je me dis tout de même qu'il faut être un poil gonflé pour tenir ce genre de discours. Le film de Moore n'est probablement pas exact sur tout. Rien ni personne n'est exact sur tout. Vouloir le disséquer comme on dissèquerait la dernière parution d'un économiste ou d'un physicien atomiste est d'entrée de jeu de mauvaise foi : quiconque peut prétendre avoir cru ne pas être dans un cinéma mais dans un amphithéâtre de fac se fout du monde.

Si on cherche, on trouve. On trouvera toujours des erreurs, des explications, des circonvolutions intellectuelles pour expliquer ceci ou cela, et en quoi c'est un fieffé mensonge si on prend en compte que le même jour la tante de Junior avait justement dit à son dentiste que le petit n'était pas du tout celui qu'on croit.

Mais si on se livre à cet exercice, particulièrement si on prétend que Moore compte sur la crédulité de ses spectateurs (amis américains "de gauche", vous êtes des ânes, vous voilà prévenus, heureusement qu'il reste des Américains de droite pour voir clair), on est prié de s'attendre à ce que les lecteurs ne soient, en revanche pas trop crédules et un peu attentifs.

Sauf s'ils sont de droite, bien entendu.

L'article cité se trouve ici.

Écrit par O. le 07 juillet 2004 à 07:59