29 juin 2004
Suis-je anti-américain ?

Question fastoche, et n'importe quelle personne qui lit CCN vous le dira : je suis affligé d'un terrible antiaméricanisme primaire.

Quoi que...

Si j'y réfléchis un peu, il y a tout de même beaucoup d'Amérique dans ma vie. Beaucoup de mes auteurs préférés sont américains, et je les lis dans le texte : Irving, Conroy, Gibson, Stephenson, Donaldson, sont américains. Il y a des auteurs européens dans mes chouchous aussi, mais la proportion se vaut. Côté musique, encore une fois, le nombre de musiciens américains sur ma playlist idéale est assez frappant : Metheny, DiMeola, Davis, Miller, Clarke, Frisell, Loeb, et des dizaines d'autres, tous plus américains que les autres.

Pareil pour le cinéma, évidemment.

Au total, beaucoup des choses, des oeuvres, des gens, qui m'ont influencé, qui m'influencent, et qui donc ont participé ou participent à l'élaboration de mon système de pensée et/ou d'émotion sont américains.

Renier l'Amérique et tout ce qu'elle engendre, ce serait renier une part de moi-même.

Renier une partie de ce que l'Amérique engendre, par contre...

Et même : est-ce que c'est l'Amérique qui *engendre* la plupart des choses qui me hérissent, ou est-ce ces choses que je n'aime pas se passent simplement là-bas, parce que c'est le centre évident du monde "occidental" auquel j'ai le douteux privilège d'appartenir ?

Pour moi, l'Amérique contient le meilleur et le pire. C'est un condensé de l'humain, et la démesure américaine amplifie les bons et les mauvais échos. L'Amérique nous donne Microsoft *et* la Free Software Foundation, par exemple. L'Amérique des années 70 a, en même temps que l'emblématique guerre du Vietnam et toutes les saloperies pratiquées dans les pays d'Amérique Latine, engendré les Baez, Dylan, et toutes les icones du mouvement anti-guerre de l'époque.

Je ne serai jamais inquiet pour l'Amérique. Elle a fait Bush, elle fabriquera aussi l'antidote. Par exemple, la résistance au Patriot Act s'organise, et elle est américaine, par définition. Les mots de Benjamin Franklin reviendront en mémoire. Il disait en substance qu'un peuple disposé à sacrifier un peu de sa liberté en échange de sécurité ne mérite ni sécurité ni liberté. (They that can give up essential liberty to obtain a little temporary safety deserve neither liberty nor safety.)

Clinton disait en gros "il n'y a rien de mauvais en Amérique qui ne puisse être corrigé avec ce qu'il y a de bon en Amérique" (There is nothing wrong with America that cannot be cured by what is right with America.), et je crois qu'il a totalement raison.

Les derniers romans de Stephenson me donnent un éclairage nouveau et intéressant sur la genèse des États-Unis en présentant les gens qui y ont émigré sous une foultitude d'aspects que j'avais ignorés.

L'ennemi de l'Amérique, et ce qui fait parfois de l'Amérique un ennemi, c'est l'excès, la magnitude, l'ampleur des mouvements de balancier.

Parfois, avoir les moyens engendre la paresse.

Je ne me sens pas plus anti-américain qu'anti-quoi que ce soit d'autre. On n'a pas tous le même sens des urgences, peut-être.

Écrit par O. le 29 juin 2004 à 20:46