Genève-Copenhague
Il est arrivé en retard. Parce qu'on est vendredi soir, Avraham Burg ne peut pas circuler en voiture, il vient à pieds. Il arrive, un peu couvert de neige. Il nous demande quelques minutes pour "décongeler". A la même table, Yasser Abed Rabo, Elias Zananiri, un psychiatre palestinien de Gaza dont j'ai oublié le nom pour le moment, Israela Oron, et Daniel Levy. Ils sont venus présenter "l'accord de Genève".
Dehors, dans la neige, trois Palestiniens avec un drapeau et trois pancartes : "non à l'accord de Genève, retour des réfugiés".
En fait, pas de discours. Juste une introduction par un Burg en phase de décongélation, et directement on passe aux questions de l'auditoire.
L'introduction de Burg m'a fait un peu peur au début. On voyait les muscles du politicien rouler sous la peau de l'homme, des formules habiles, presque faciles. Et puis au fur et à mesure qu'il décongelait est apparu un homme formidable de conviction, un orateur puissant, convaincu et convaincant. Il termine par un hommage appuyé à Rabo. Il cite deux fois son ami Yossi Beilin.
Arrivent les questions. Les premières sont convenues, bien qu'intéressantes. On s'interroge sur l'impact en Israël d'un groupe de personnes politiquement marginalisées. La question est posée directement à Burg, qui répond quelques mots, et passe la parole à Daniel Levy. Daniel Levy, on en a peu parlé, j'ignorais qui c'est. Burg le présente comme le principal rédacteur de l'initiative.
C'est un petit homme à lunettes, hyperactif, on l'a vu arpenter la salle avant le début de la présentation. Visiblement d'une intelligence affutée. Il parle avec un accent américain. Dès les premiers mots, j'adhère.
Alors que j'avais trouvé Burg convaincant, il n'est rien à côté de la puissance, de l'énergie qui irradient des mots de ce petit homme. Qui met immédiatement les doigts où ça fait mal. Qui répond directement, sans aucun détour, en regardant dans les yeux celui qui a posé la question. Qui sait la faiblesse de leur position, mais qui sait aussi leur force. Leur force, dit-il c'est que maintenant "ne rien faire" n'est plus une option, car toute option avancée par les uns et les autres est comparée à ce nouveau mètre-étalon qu'est l'initiative de Genève.
Arrive un second tour de questions, et parmi celles-là *LA* question. Elle est posée par un ami de P., Mahmoud. "Et les réfugiés ? Et le droit au retour ?"
Techniquement, personne n'a répondu à la question. Mais toute la discussion a gravité autour de ça. Chacun des membres du panel, lorqu'il répondait à quelque question que ce soit, avait les yeux fixés sur Mahmoud. Celui qui est allé le plus loin est naturellement Levy. Fixant Mahmoud dans les yeux, ne parlant plus qu'à lui, il lui a expliqué qu'il est un Juif. Un sioniste. Qu'il rêve du Grand Israël...
Qu'il reconnaît les torts de l'état d'Israël dans la condition des réfugiés, l'expulsion et son cortège d'horreurs. Mais qu'Israël restera un état juif. Que tous les juifs, et lui aussi, se battront jusqu'à la dernière goutte de sang pour ça. Il lui explique que le retour des réfugiés à l'intérieur d'Israël est impossible. Que, pour le symbole, des réfugiés puissent rentrer est possible. Qu'Israël reconnaisse sa responsabilité et participe à l'indemnisation est possible et prévu. Mais que le retour des réfugiés est *LA* ligne rouge des Israéliens.
La paix avec la Jordanie, poursuit-il, s'est faite sur les frontières de 67. La paix avec l'Égypte s'est faite sur les frontières de 67. La paix avec le Liban s'est faite sur la frontière de 67. La réalité sur le terrain est là : la paix se fera sur les frontières de 67. Avec deux états. Toute autre solution se terminera par un bain de sang abominable, à une lutte pour la survie.
A la fin de la rencontre, Mahmoud me dit que tout ça, malgré tout, ça reste des discours. Mais quand on le pousse, il l'admet : le discours de ce petit homme à lunettes l'a atteint. Il a senti l'homme, il a senti que l'homme le respectait, et lui-même respecte l'homme.
Si on ne devait retenir qu'une seule chose de cette initiative, c'est ce groupe d'hommes qui a su franchir toutes les barrières dans la tête, toutes les barrières du sang et de la haine, et qui ont su poser sur l'autre un regard plein de respect, d'acceptation. Ces hommes ont su non pas vaincre leurs différences, mais les prendre en compte.
Burg, se rendant compte qu'il a été léger sur la questions des réfugiés, revient à la charge. Lui aussi ne parle plus qu'à Mahmoud. Il lui raconte une de ses premières rencontres avec Rabbo. Il lui dit l'intensité de la discussion, le torrent d'accusations mutuelles, la dureté du ton. Et, "at the end of the day", expression qu'ils employaient tous, ils avaient trouvé les racines qui leur permettaient de discuter. Ils avaient trouvé le respect, et ils avaient décidé que la priorité des priorités était d'arrêter le massacre. De tout donner pour que les deux peuples puissent collectivement parcourir les mêmes phases qu'ils venaient individuellement de vivre. De s'opposer à tous s'il le fallait, mais plus jamais entre eux.
J'ai passé une heure et demie en présence d'un groupe de gens que j'admire. Je crois en leur projet.
Écrit par O.
le 31 janvier 2004
à 13:01
Moi, y'a toujours quelque chose qui me froisse, quand tu ecris: "Qu'il reconnaît les torts de l'état d'Israël dans la condition des réfugiés, l'expulsion et son cortège d'horreurs. Mais qu'Israël restera un état juif."
C'est tout simplement FAUX: Israel, dans les faits, n'est pas un 'etat juif': que fais-tu du million de palestiniens, chretiens et musulmans, qui y vivent? que fais-tu de tous les russes non-juifs? de tous les athes?
A mon sens, c'est la que le bat blesse, dans toute cette argumentation: ils se battent pour un moulin a vent, qui ressemble furieusement a un systeme d'apartheid en plus. Alors la fin (etat juif) justifie les moyens (expulsion, massacres)? Tout le probleme du sionisme est la. Non resolu, qui empire.
Ceci dit, personnellemnt, si dans les faits la 'paix par la frontiere de 67' tombe sous le sens a court terme, je pense que la solution a plus long terme sera a un etat. Pas juif, pas musulman, pas chretien, mais dans lequel les droits de chacuns sont respectes.
On a le droit de rever pour nos enfants?