11 novembre 2003
Petit lexique d'un conflit : M comme media

Voilà, comme annoncé, mi-parcours. M comme moitié ? M comme massacre, munitions, mines, Mitzna, Mapai, Merkava... ? Merkava était tentant. Mais on est le onze novembre, ce qui m'amène à M comme mémoire, et par extension, à M comme media, les media d'aujourd'hui étant malheureusement la mémoire de demain.

Radio, télé, presse écrite, internet... M comme revue de presse.

Inspirez...


Pendant mes 14 mois en Palestine, je n'ai pour ainsi dire été exposé à la télévision que sur le terrain. Je pouvais bien regarder les chaines arabophones du coin, Al Jazeera en tête, et Al Manar en toute queue de peloton, mais si les images n'étaient pas très différentes ce que je j'avais au coin de la rue, et donc vraisemblables, sinon vraies, je ne comprenais pas les paroles -quand j'essayais de comprendre. Enfin pour Al Jazeera. Parce que Al Manar, je n'ai jamais pu supporter plus de cinq minutes. Al Manar (j'espère que j'ai la bonne mémoire du nom) c'est un défilé perpétuel de cadavres, de morceaux de chair, et de soldats du Hezbollah à l'exercice sur fond de musiques martiales. Pas mon truc. Pendant la période où j'étais à Jérusalem, j'avais accès par intermittence à CNN, la BBC, et fugitivement Fox. Là, je reconnaissais assez peu ce que je vivais. Le moindre attentat suicide était couvert en direct et à grand fracas, mais j'ai attendu cinq mois et deux invasions de Jénine sans voir une caméra occidentale. Ils ne sont venus que pour le "massacre".

Sur le terrain, à Ramallah, j'ai vu une équipe de télé américaine mettre en scène des situations "dramatiques" (si vous avez un jour eu l'occasion de voir une ambulance en centre ville évacuant une famille avec un gros type portant un bonnet bleu, le gros type c'était moi, et on a tourné la scène trois fois, en échange d'une relative "protection" que nous valait la voiture télé qui nous suivait quand on opérait en ville). La même équipe de télé, en position pour filmer une opération de l'armée israélienne, a tourné les talons dès qu'ils se sont rendus compte que l'armée utilisait un bouclier humain. Édifiant. Mention particulière pour Al Jazeera : même si je ne comprends pas ce qu'ils racontent, je peux témoigner qu'ils sont là dès qu'il se passe quelque chose, même dans les zones les plus dangereuses. Et si on les accuse de "provoquer" des évènements, je ne l'ai jamais vu. En revanche, j'ai vu des journalistes occidentaux payer des gamins pour lancer des pierres devant la caméra ou l'objectif de l'appareil photo...

Journaux maintenant : la seule presse qui présente à mes yeux une couverture à peu près potable de la situation telle que je l'ai vécue, c'est Ha'aretz, avec ses limites. Les journaux français que je pouvais lire sur le net (Le Monde et Libe) sont souvent hors sujet à mes yeux, et ne rendent pas compte de ce qui se passe dans les territoires. Mention spéciale pour B. qui se reconnaîtra, et qui, travaillant pour plusieurs journaux francophones, est animé d'un vrai désir d'informer et affecté d'un manque de chance chronique (quand il arrive quelque part, soit la zone passe sous couvre-feu, soit quelque chose d'énorme se déclenche... à l'autre bout du pays. "Meeeeeerde, j'viens d'arriver à Naplouse" étant son habituelle réponse au téléphone quand on lui signale quelque chose par exemple à Ramallah.)

Les media, concernant ce sujet, sont scrutés, rescrutés, et surscrutés sur l'internet, dans un camp comme dans l'autre, surtout côté pro-israélien. Une kyrielle de sites épluche chaque ligne publiée et pousse des cris d'orfraie quand (selon le cas) ils voient (ou ne voient pas) le mot qu'ils voudraient voir (ou ne pas voir, etc.) dans telle ou telle situation. Les deux camps sont capables d'une mauvaise foi qui pourrait être drôle si on a le coeur à ça.

Les sites "d'information" d'un camp ou de l'autre sont aussi intéressants par le choix des articles qu'ils présentent que celui des articles qu'ils ne présentent pas. C'est ainsi qu'il m'arrive fréquemment de lire des sites qui ne sont pas du tout dans ma mouvance, tel celui d'Arutz Sheva, l'aile dure des colons, et d'y trouver des informations valables et pertinentes, qui mériteraient de figurer sur les sites "pro-palestiniens". L'information, ou le commentaire de l'information, gagne au pluralisme. Il est impossible de comprendre ce que font les Israéliens si on ne s'intéresse pas à leur politique intérieure, leur économie, et vice-versa pour les Palestiniens. Mais chaque camp a une lecture très sélective. C'est bon pour le moral, mais pas pour faire avancer les choses.

Respirez, c'est fini !

Écrit par O. le 11 novembre 2003 à 15:43
Réactions

A propos d'Al Jazeera: les journalistes qui couvrent ce qui se passent dans les territoires sont devenus de veritables heros, pour les Palestiniens en tout cas (ils sont eux-meme palestiniens). Regulierement, s'il se passe qqc, il apparait sur l'ecran une bande qui annonce: depeche speciale, puis detail de l'incident, des victimes, etc...
Mon beau-frere (de retour a Ramallah donc) raconte que ces depeches speciales sont connues, meme des soldats israeliens, qui lancent parfois comme menace en donnant un ordre (au check-point): '...si tu ne veux pas que je te transforme en depeche speciale sur Al-Jazeera'. Voila, c'etait la derniere blague en circulation...

A propos de l'inegalite de couverture des victimes et degats du conflit: voir les graphiques eloquents sur ce site (c'est a propos de journaux americains, mais la tendance est la meme chez beaucoup d'autres journaux):
http://www.ifamericansknew.org/
QQ statistiques interessantes.
http://www.ifamericansknew.org/media/index.html
L'ecrasante majorite des victimes palestinienne sont passees sous silence.

Ah, et tu ne mentionnes pas les victimes: les journalistes tues ou blesses par les tirs israeliens. Risques du metier... Ca explique peut-etre en partie pourquoi ils preferent se cantonner aux salons confortable de l'american colony? Ou rester du cote israelien (et ne couvrir alors que les victimes israeliennes)?

amities,
Christine.

Mis à jour par Christine le 11 novembre 2003 à 16:48

J'avais rendez-vous avec Imad Abu Zahrah à Jénine trois jours après le jour où il a été tué... Il voulait me présenter les jeunes auxquels il s'efforçait d'inculquer les rudiments du journalisme.

Mis à jour par O. le 11 novembre 2003 à 22:49