11 novembre 2003
Devoir d'autre mémoire...

En ce jour de commémoration, on voit fleurir les hommages, les "n'oublions jamais".

C'est louable. Pas de discussion là-dessus. Personne ne devrait oublier ni négliger.

Et pourtant...

Les survivants des tranchées, ceux qui ont défilé en criant "plus jamais ça" sont ceux qui ont organisé, préparé, déclenché et encadré la guerre suivante. Quelle sorte de société sommes-nous qui, après avoir connu quatre années où plusieurs millions d'hommes se sont -littéralement- étripés avec tout ce qui leur tombait sous la main, de l'artillerie de gros calibre à la pelle (imaginez vous en train d'aiguiser le tranchant d'une pelle, et partir à l'assaut avec ça), après avoir vu toute une génération fauchée, a permis qu'on remette ça à peine 20 ans après ?

Je garde en mémoire, de mon adolescence, cette scène d'un livre d'Erich Maria Remarque "der Weg zurück" ["après", en Français], où des survivants assistent à une cérémonie de commémoration. L'un d'entre eux prend le mors aux dents quand il entend évoquer l'héroïsme d'un tel ou un autre : il monte à la tribune, raconte... les entrailles répandues dans la boue, le visage ouvert d'un coup de pelle, les lambeaux de chair dispersés, le soldat qui cherche son oeil.

C'est ça le vrai visage de la guerre. Les cimetières sont paisibles, les croix blanches. Mais la guerre, ce n'est que hurlements de détresse, un univers soudainement en furie, où l'air, la terre, sont soudainement animés. Et mortels.

Ne croyez pas les films ou les reportages. La guerre, ce n'est pas ce froid professionnel qui sélectionne ses cibles. La guerre c'est un cyclone de violence aveugle. Un tourment perpétuel pour le corps et l'esprit.

Plus jamais ça, et puis la seconde. Plus jamais ça, et puis la Corée, l'Indochine, le Viet-nâm, l'Algérie, Israël, les ignominies partout en Afrique avec leur point culminant au Rwanda... et maintenant, l'Afghanistan, l'Irak, en attendant calmement qu'on passe la vitesse supérieure, L'inde, le Pakistan, la Chine. Les images d'Hiroshima défilent sagement tous les ans à date fixe, mais on prépare la génération suivante...

Je ne sais pas de quoi on se souvient le onze novembre. Mais ce n'est visiblement pas assez. On n'a pas les bons souvenirs, pas assez fort, si on est capable de croire en la guerre.

Que celui qui n'a jamais ramassé les morceaux d'un gamin tué dans l'explosion d'une mine vienne me parler de la guerre... Qu'on puisse encore envisager le recours à la violence après ça me dépasse. Mais on y travaille.

Écrit par O. le 11 novembre 2003 à 06:54
Réactions

Tous les anciens combattants n'ont pas défilé dans les ligues O., ni souhaité la seconde. En fait, ceux qui ont survécu au front ne s'en sont jamais vraiment remis. Ce qui n'est pas sans rappeller l'ambiance surréaliste à Paris où jusqu'en 1916 on continuait à vivre tout à fait normalement, alors qu'à 200Km de là on envoyait des gars se faire trouer la peau, combattre une journée entière de manière acharnée pour gagner une colline... Ce sont des "planqués" qui ont contribué à ce mouvement revanchard. Les mêmes qui te sortent des arguments à la "ah ces jeunes ils ne sont bons à rien, ils n'ont pas fait la guerre etc." outre la vacuité du raisonnement, le pire est sans doute qu'ils ne l'ont pas vraiment faite non plus. Actuellement, c'est la désincarnation du contenu des faits de guerre relatés (il faut voir à quel rang dans la hiérarchisation déjà, entre le fromage et le dessert si j'ose cette cruelle remarque) dans les media qui me laisse pantois. Un mort, dix morts, mille, les chiffres ne parlent plus. Pire "on" regarde les infos en bouffant, comme on observerait une fiction, lointaine, irréelle... Et ça ça me fout les boules.
Ta remarque sur ce qu'est réellement la guerre se suffit à elle-même. Pour les incrédules il n'y a qu'à lire des témoignages, voir des photos des tranchées pour en être glacé d'effroi. La guerre c'est une saloperie innomable. Je n'ose pas imaginer ce que le onze novembre représente de nos jours, une journée de shopping? Je souscris évidemment à ta conclusion. Amitiés. Joel.

Mis à jour par aqb le 11 novembre 2003 à 09:45

C'est terriblement vrai ce que disent O. et Joël ; vos deux textes se complètent en réalité.
Nombreux sont ceux qui se complaisent dans les images désincarnées - si je puis dire - que la télé nous déverse avec complaisance.
Combien pensent, ne serait-ce qu'une seconde et si j'étais à leur place ? Par contre, gros scandale lorsqu'un olibirius a le culôt de vous prendre votre place de parking.
Que peut-on faire, y-a-t'il une recette ???

Mis à jour par Danielle le 11 novembre 2003 à 11:47

Je ne sais pas si vous avez remarque ces derniers jours, sur les images qui viennent du Royaume-Uni, tout le monde (y compris les presentateurs tele, le prince charles etc, etc.) porte un petit coquelicot rouge sur la poitrine. Ca fait plus d'une semaine en fait que le 'Poppy appeal' est lance, comme chaque annee, aux alentours du 11 novembre. C'est l'une des 'Charity' les plus populaires ici (£1.4m l'annee derniere!); tout le monde ou presque porte sa petite fleur rouge, apres avoir donne qq sous.
C'est quoi? une organisationde bienfaisance pour les rescapes- et leurs descendants - de cette guerre et de toutes les autres. Pourquoi un coquelicot? a cause d'un poeme: http://www.poppyscotland.org.uk/intro/ffields.htm
Plus de renseignements: http://www.poppyscotland.org.uk/

Cette fleur rouge, c'est comme des coeurs qui saignent. C'est aussi un peu plus efficace semble-t-il que de simples ceremonies comme en France, et ca montre clairement le soutien de toute la population a cette 'generation perdue'.

amities,
Christine.

Mis à jour par Christine le 11 novembre 2003 à 13:08

Christine, j'allais poser la question !!!

Merci !! Ca m'énervait, aussi, de voir ces trucs sur tout le monde et de pas comprendre ce que c'était !

Mis à jour par O. le 11 novembre 2003 à 13:10

Cela m'évoque les images de hier au soir, de ce père israélien ayant perdu un des ses fils dans un attentat et un autre (19 ans)par suicide après la mort de son ami (19 ans) aussi dans une attaque au carrefour de Netzarim qui disait que rien, vraiment rien ne justifiait la mort d'un enfant, qu'aucune guerre pour quelque raison que ce soit ne justifiait la perte d'un enfant, qu'aucune terre, aucun lieu n'était une justification à la mort d'un enfant...

Mis à jour par muriel le 12 novembre 2003 à 07:35