01 novembre 2003
Petit lexique d'un conflit : E comme étudiants

Extrait de Brest Jérusalem - Juin 2002

Pendant qu'on faisait la queue je voyais dans le couloir trois Palestiniens retenus là pour vérification. Ils étaient visiblement là depuis un moment, leur impatience était difficile à ne pas voir. Et puis est arrivé un soldat avec leurs papiers. Deux ont pu passer, pas le troisième.
Il portait sous son bras deux gros livres, genre dictionnaires, et des cahiers de cours. Le prototype de l'étudiant. Dans sa démarche, dans le regard qu'il m'a jeté en passant, ses lèvres murmurant des choses que je n'ai pu comprendre, j'ai lu une dose de tristesse et de colère qui m'a fait peur.

De toutes les catégories de personnes dont la vie a été ruinée par les trois ans d'intifada, et tout spécialement par la politique de cloisonnement appliquée par les Israéliens dans les territoires, il en est une dont la disparition progressive va poser des problèmes immenses .

Aujourd'hui, on parle des étudiants palestiniens.

Inspirez...


Le système éducatif palestinien bouge encore, mais pour combien de temps... ? Déjà toute une génération, celle de la première intifada, a subi une disruption de son parcours scolaire et/ou universitaire. Cette génération, maintenant adulte, porte un soin tout particulier à l'éducation de la génération suivante. L'éducation est au centre de toutes les préoccupations.

Les étudiants palestiniens, maintenant, sont dans l'impasse. Au premier rang des dificultés, il y a le déplacement. Se rendre de Jénine à l'université Arabe-Américaine située à Zabbabdeh, huit kilomètres, prenait 20 minutes avant l'intifada, prenait une heure et demie en novembre 2002, et est quasiment impossible maintenant. Bir Zeit est notoirement en quarantaine quasi permanente, Al Najah à Naplouse essaie de survivre aux couvre-feux à répétition et aux barrages, l'université Al Quds est jour après jour plus séparée de ses étudiants par la progression de la clôture autour de Jérusalem, et Bethlehem est pratiquement inaccessible à intervalles réguliers. Il n'y a guère qu'à Gaza que l'accès à l'université peut se faire relativement régulièrement, à condition de ne pas habiter ailleurs qu'à Gaza même.

Beaucoup d'étudiants allaient finir leur formation en Jordanie, en Irak, ou dans des pays comme la Russie et l'Ukraine. Leurs déplacements aussi sont quasiment impossibles.

Il faut ajouter à cela les difficultés financières : il faut payer l'inscription dans les universités, et l'argent se fait très rare. Certains entament les cagnottes "mariage", d'autres vont jusqu'à vendre des terres, ce qui est dans une société agricole toujours le dernier des derniers recours.

Moins visibles, les effets psychologiques de ces difficultés sur les étudiants; difficultés de concentration, migraines, perte de confiance en soi et de motivation.

Pas encore visibles, les effets à long terme sur cette génération perdue, sur l'économie du pays à venir.

En conclusion, le titre d'une étude réalisée pendant l'été 2002 par des groupes chrétiens qui ont interrogé des étudiants dans l'ensemble du pays. C'est un morceau d'une des interviews qu'ils ont mis en exergue :

You can't think when your life is not in your hands

On ne peut pas penser quand on n'a pas sa vie entre ses mains.

Respirez, c'est fini.

Écrit par O. le 01 novembre 2003 à 11:06
Réactions

F comme Fan de CCN?

Mis à jour par Marc le 02 novembre 2003 à 03:16

Essaie encore, petit scarabée... :)))

Mis à jour par O. le 02 novembre 2003 à 11:20

Moi je pense a mon beau-frere quand je lis ca.
Apres le bac, debut de fac a Naplouse, mais pas de bol c'est le debut de l'intifada (la premiere), donc fac fermee au bout de 4 mois.
Apres, il faut bien vivre, donc travail....
Jusqu'en 2000 ou, plein de courage et de bonne volonte il veut de nouveau s'isncrire a l'open university de jerusalem.
Mais pas de bol c'est la deuxieme intifada, et tous les blocus, fermetures etc.., pas facile de se deplacer, donc peu a peu il laisse tomber.
Puis il est venu nous rendre visite en Ecosse, avec un 'visitor visa', donc pas le droit d'etudier a plein temps, mais a mi-temps il etudie l'anglais avec plein d'autres etudiants du monde entier, experience enrichissante ('tu viens d'ou? de palestine. D'ou?...de jerusalem. Ah, alors tu es juif? (sic). ).
Mais quand il s'agit de transformer le visa de visiteur en visa d'etudiant: pas question de le faire sur place, il doit revenir dans son pays d'abord et faire la demande de la-bas. Manque de pot, la-bas on ne laisse sortir personne (du moins a l'epoque ou son visa finissait), donc on ecrit une lettre expliquant sa situation (exceptionnelle) et on fait quand meme la demande sur-place.
Manque de pot, refus (ils auraient pu nous le dire tt de suite, mais ils ont prefere attendre le dernier moment).
La situation a l'air moins bloquee la-bas, donc il retourne en palestine, avec l'espoir de revenir nous voir tres vite car entre-temps, il est accepte dans un 'college' (pour passer un diplome d'etude patique, genre CAP). Il fait donc sa demande au british consulate a jerusalem.
Manque de pot, refus. Meme avec appel, etc. Veulent rien savoir: pas le droit d'etudier.

Mon beau-frere il est plutot calme, tres gentil (il s'est fait plein d'amis ici en qq mois) et plutot tres philosophe: du style, si ca ne se passe pas comme il le souhaite, c'est que Dieu ne le voulait pas ainsi, et apres tout il peut faire autre chose etc. N'empeche, ce refus, ca lui a fait tres tres mal (et a nous aussi d'ailleurs).
Bon, maintenant, il etudie sur place pour avoir un diplome d'ingenieur reseau. Il a 30 ans et son seul diplome pour l'instant c'est le bac.

Mis à jour par Christine le 03 novembre 2003 à 15:33

...et par rapport a la 'cagnotte mariage'... mon beau-frere il a passe sa jeunesse a travailler, pour vivre et aussi aider ses freres et leur famille.
Resultat, maintenant il n'a ni appart, ni argent de cote (tout perdu au debut de l'intifada, tout etait ferme, donc pas de commerce - et le reste, mis dans ses etudes). Donc il est encore celibataire, parce que ce qui est important avant de pouvoir se marier, c'est d'avoir un boulot, une maison etc...
Vrai autrefois en tout cas, mais peut-etre plus maintenant.

Mis à jour par Christine le 03 novembre 2003 à 15:46

Il est très touchant ton témoignage Christine et illustre cruellement le billet de O.

Mis à jour par aqb le 04 novembre 2003 à 15:17