03 septembre 2003
two thirteen - 13 février

Je vous parle régulièrement du blog de celle qui se fait appeler Riverbend, qui témoigne de Bagdad, au quotidien.

Aujourd'hui, je suis allé un poil plus loin, et j'ai traduit l'article du jour.

Le soldat avait rétorqué "c'est pas de ma faute ! j'avais 9 ans !". Et moi, je n'en n'avais que 11.

Texte intégral en "suite de l'article". Original, ici.

[Entre les oreilles : Clube da Esquina N.2 - Milton Nascimento]


Vous avez oublié ?

Le 11 septembre a été une tragédie. Pas parce que 3000 américains sont morts... mais parce que 3 000 humains sont morts. Je lisais à propos d'enregistrement téléphoniques de conversations entre les victimes et leurs familles le 11 septembre. J'ai trouvé ça... horrible et parfaitement programmé. Juste au moment où les gens commencent à se poser des questions sur les motifs et les résultats de cette occupation, on les bombarde instantanément de rappels du 11 septembre. Et tant pis si l'Irak n'avait rien à voir avec tout ça.

Je reçois en permanence des emails qui me rappellent la tragédie du 11 septembre, et qui m'expliquent que les "Arabes" l'ont bien cherché. Et tant pis si, à l'origine, on avait mis ça sur le dos des Afghans (lesquels, pour votre information, ne sont pas des Arabes).

On me rappelle en permanence les 3000 américains morts ce jour là... et on me demande d'oublier les 8000 irakiens sans valeur qui nous ont été arrachés par les missiles, les chars et les canons.

Les gens s'étonnent que nous ne soyons pas dans la rue, à couvrir les monstrueux chars kaki de jasmin et de roses. Ils se demandent pourquoi nous ne couronnons pas les casques hideux et durs des soldats de lauriers. Ils se demandent pourquoi nous pleurons nos morts au lieu de les offrir gracieusement en sacrifice aux dieux de la Démocratie et de la Liberté. Ils se demandent pourquoi nous sommes amers.

Mais moi, je n'ai pas oublié...

Je me rappelle le 13 février 1991. Je me rappelle les missiles lancés sur l'abri Al-Amriyah -- un abri civil dans un quartier habité, résidentiel, de Bagdad. Des bombes tellement sophistiquées que la première a ouvert un trou jusqu'au coeur de l'abri et que la seconde a explosé à l'intérieur. L'abri était plein de femmes et d'enfants -- aucun garçon de plus de quinze ans n'était autorisé à l'intérieur. Je me souviens de ces images de gens horrifiés, agrippés à la clôture, pleurant, hurlant, suppliant pour savoir ce qui était arrivé à une fille, une mère, un fils, une famille qui avait cherché la protection de l'abri.

Je me souviens les avoir vus sortir des corps tellement carbonisés qu'on ne discernait plus s'ils étaient humains. Je me souviens de gens frénétiques, courant de corps en corps, tentant d'identifier un être cher... Je me souviens des secouristes irakiens qui nettoyaient l'abri, défaillant devant les scènes insupportables à l'intérieur. Je me souviens que l'endroit avait pué la chair brûlée pendant des semaines et des semaines.

Je me souviens de ma visite dans l'abri, des années après, pour rendre hommage à ces 400 personnes qui y ont connu, à l'aube, une mort atroce. Et des silhouettes fantomatiques d'êtres humains décalquées sur les murs et les plafonds.

Je me souviens d'un ami de la famille qui a perdu sa femme, sa fille de 5 ans, son fils de deux ans, ainsi que sa raison le 13 février.

Je me souviens du jour où le Pentagone, après plusieurs faux fuyants, a déclaré qu'il s'agissait d'une "erreur".

Je me souviens de 13 années de sanctions, strictement soutenues par les USA et la Grande-Bretagne, au nom d'armes de destruction massive que personne n'a jamais trouvées. Des sanctions si dures que certains produits de première nécessité, comme des médicaments, étaient mis sur liste d'attente, avant de nous être finalement refusés. Je me souviens de produits chimiques comme le chlore, nécessaires pour purifier l'eau, examinés et retardés aux dépens de millions de personnes.

Je me souviens d'avoir demandé à des travailleurs humanitaires ou des activistes en visite, d'apporter "s'il vous plaît, un livre" parce que les éditeurs refusaient de vendre des livres et des revues scientifiques à l'Irak. Je me souviens d'avoir du "partager" des livres avec d'autres étudiants, pour essayer d'exploiter au mieux nos maigres ressources.

Je me souviens des petits corps perdus, dans les grands lits des hôpitaux, mourant de faim et de maladie; des maladies qui auraient pu facilement être soignées avec les médicaments qui nous étaient "interdits". Je me souviens de parents aux traits tirés qui scrutaient avec anxiété les yeux des médecins, espérant un miracle.

Je me souviens de l'uranium appauvri. Combien ont entendu parle de l'uranium appauvri ? Ce sont des mots de tous les jours pour le peuple irakien. Les armes à l'uranium appauvri utilisées en 1991 (et probablement cette fois-ci) ont provoqué des dégâts environnementaux et une augmentation astronomique du taux de cancer en Irak. Je me souviens de bébés nés avec un seul oeil, 3 jambes, ou pas de visage, une conséquence de l'empoisonnement à l'uranium appauvri.

Je me souviens des dizaines de morts dans les "zones d'exclusion aériennes" bombardés par les avions anglais et américains, soit disant pour "protéger" le nord et le sud de l'Irak. Je me souviens de cette mère, dans les faubourgs de Mosul, qui a perdu son mari et ses cinq enfants, bombardés par un avion américain, le père et ses fils, au milieu d'un pâturage où broutaient tranquillement des moutons.

Et nous sommes sensés croire que tout ceci a été fait pour le bien du peuple.

"Te souviens-tu de l'effet que ça faisait ce jour-là
de voir ta patrie en feu
et son peuple balayé?"

Non... nous n'avons pas oublié -- les chars sont encore là pour nous le rappeler.

Un ami de E., qui vit à Amiriyah, nous a parlé d'un soldat américain avec lequel il avait discuté dans le coin. L'ami de E. lui avait montré l'abri et lui avait raconté l'atrocité commise en 1991. Le soldat avait rétorqué "c'est pas de ma faute ! j'avais 9 ans !". Et moi, je n'en n'avais que 11.

La mémoire américaine à long terme ne retient que les traumatismes américains. Le reste du monde devrait simplement "tourner le dos au passé", "aller de l'avant", "être pragmatique", ou "s'en remettre".

Quelqu'un m'a demandé s'il était vrai que les Irakiens avaient dansé dans les rues de Bagdad quand le World Trade Center est tombé. Bien sur que non. Je regardais, incrédule, sur ma télévision, les réactions horrifiées des gens. Je ne dansais pas parce que les visages terrifiés sur l'écran auraient pu être les mêmes visages devant l'abri d'Amariyah le 13 février... C'est étrange de constater comme l'horreur efface les différences ethniques. Tous les visages se ressemblent quand ils assistent à la mort de ceux qu'ils aiment.

Écrit par O. le 03 septembre 2003 à 22:12
Réactions

Merci Olivier pour la traduction, ce texte m'a beaucoup emue aussi.

Dans un tout autre registre, la blague preferee de mon petit frere:

Mr et Mme 'paslairtressolidecesdeuxtoursla' ont un fils, comment s'appelle-t-il?

Mis à jour par Christine le 08 septembre 2003 à 12:34

alors christine, on s'eclate en famille ?

Mis à jour par boq le 08 septembre 2003 à 19:36

pas toi?

Mis à jour par Christine le 09 septembre 2003 à 13:27

La réponse, c'est bien "Aragorn" non ? :))

Mis à jour par O. le 09 septembre 2003 à 13:52

Non, mais Oussama (je connais pas le seigneur des anneaux). ('Ouuuh!!!..Ca m'a). :))

Comme disait Desproges, on peut rire de tout...

Mis à jour par Christine le 09 septembre 2003 à 15:02

Ca depend qui rit...
Une blague juive, c'est pas aussi drole selon que ca vienne d'un neonazi ou d'un rabbin.

Mis à jour par boq le 09 septembre 2003 à 16:14

...mais pas avec n'importe qui!

Mis à jour par Christine le 09 septembre 2003 à 16:16