04 mai 2003
Tout le monde s'en fout

Tout le monde s'en fout de ce que je pense. Et c'est bien normal.

Est-ce que c'est une raison pour ne rien dire ? Évidemment non.

Mon boulot me laisse pas mal de temps "libre" pour parcourir le net. Je lis beaucoup. Des sites de ce qu'il est convenu d'appeler "information". Je ne suis pas très sélectif, notez. De la diversité sort souvent un bout de vérité, je crois. Je lis souvent des sites dont je sais qu'ils sont diamétralement opposés à ce que je pense, pour cette raison précise. Et j'évite souvent les sites dont je sais par avance qu'ils vont caresser ma précieuse analyse dans le sens du poil.

J'essaye de faire honnêtement mon boulot d'honnête homme : ne croire personne sur parole, regarder sous le tapis, multiplier les angles.

J'en arrive à envier les bienheureux ignorants que je peux lire à droite ou à gauche, parfois même ici, et qui étalent des propos navrants où transparait l'ignorance de celui à qui on a livré la solution avant qu'il découvre le problème.

Parce que pour moi, c'est pas facile tous les jours...

Quand deux mômes (moins un) décident de se faire sauter devant un bar que je connais, devant lequel je suis passé, à l'occasion, dans lequel, en poussant les choses à l'extrême, j'aurais pu être, dans lequel un des deux Israéliens que je connais aurait pu être, et qu'ils font ça au nom du peuple Palestinien, auquel ils n'appartiennent naturellement pas, j'ai un problème.

Comment se positionner quand au nom de quelque chose que je soutiens des gens font des choses que je ne veux pas soutenir ? En général, je ne dis rien. Et parfois ça monte dans ma tête.

Hier, P. et moi dînions chez un ami, un vieux militant de toutes les causes, et donc aussi de la cause Palestinienne. La discussion est rapidement venue sur nos expériences diverses et variées, et notamment sur les militants de tout poil qui vont en Palestine.

Pour votre information, au Danemark, on les appelle des "peace guards", pas des militants ni des activistes... chaque pays a sa façon de voir les gens.


Mon propre séjour en Palestine, qui me sert évidemment de référence, a été à tous points de vue totalement atypique. Parce que je suis allé là-bas pour tout autre chose, parce que j'ai été élevé dans un milieu pro-Israël. Parce que mon apprentissage de la chose palestinienne est venu de la base, de la découverte d'un quotidien, et non par la télé. Je n'avais pas grand-chose - et je n'ai probablement toujours pas grand-chose - à voir avec ces militants qui pendant des années ont pris le chemin de Jérusalem. Et certainement pas grand-chose de commun avec cette nouvelle génération de militants née avec la répréssion de ce qu'il est convenu d'appeler "la seconde Intifada". Cette génération est très bien symbolisée par l'ISM, dont deux membres déjà ont été tués par l'armée israélienne.

Un de mes problèmes avec beaucoup des militants ISM que j'ai rencontrés, c'est que je ne savais pas pourquoi ils étaient là. Mon problème était souvent moins important que le leur : ils ne savaient pas exactement eux-même pourquoi ils étaient là.

J'ai un profond respect pour les gens capables de mettre en jeu leur vie pour un truc auquel ils croient. Encore que j'ai tendance à penser qu'on est plus utile à une cause vivant que mort, mais bon.

Respect ou pas, il y a toujours un truc que je m'oblige à me demander : pourquoi. J'ai vu des militants internationaux arriver à Jénine, ou en Palestine, avec comme fil directeur "la solidarité avec le peuple palestinien". Je les ai vus débarquer à la station de taxis, sans une adresse, sans un numéro de téléphone. Je les ai vus accepter qu'on mettre gratuitement à leur disposition des appartements. Leur programme de solidarité ne commençait pas par négocier un loyer. Un truc qu'on paye en compensation d'avoir le logis et parfois la nourriture fournis par des gens dans une situation économique terrible et sans issue. Et quand je leur demandais pourquoi ils étaient là, j'obtenais souvent la même réponse : par solidarité.

Parfois, mes amis palestiniens venaient me voir à propos de tel ou telle. Est-ce que je pourrais lui rappeler qu'ici certaines choses ne se font pas, que le mode de vie n'est pas le même que... que le but du jeu n'est pas de créer à la population locale plus de problème qu'elle n'en a.

La solidarité avec les Palestiniens, pour moi, ce n'est pas se mettre devant les chars ou les bulldozers. Ca crée des tensions, et ça n'a probablement jamais rien empêché si c'était quelque chose que les Israéliens voulaient vraiment faire.

Courir dans une direction parce qu'on entend tirer ou qu'on entend des chars arriver pour se mettre au milieu, pour moi, n'a jamais rien arrangé. Un jour viendra toujours où les Israéliens et les militants ne se rencontreront pas, et ce jour là les Israéliens feront ce qu'ils voudront, avec encore un peu plus de coeur à l'ouvrage parce que pour une fois il n'y a personne pour leur casser - si peu - les pieds. Et puis on risque une balle ou un bulldozer perdu.

J'ai le vivant et cuisant souvenir d'un jour où j'étais dans une ambulance avec deux équipages palestiniens et une malade. On a été arrêtés, ce qui est monnaie courante, mais cette fois-ci ils ont pris mes quatre potes dans l'APC. Quand j'ai vu ce qui se dessinait, j'ai piqué une rage folle, je me suis heurté de plein fouet avec les soldats, je leur ai hurlé dessus, j'ai menacé, tempêté. Et ils ont emmené mes potes, après m'avoir mis le canon d'un M16 armé sur le front.

Qu'est-ce que j'avais accompli ? Rien. Pire : un de mes potes me criait de l'intérieur de l'APC d'arrêter. Je risquais d'aggraver leur problème. Alors j'ai dessoûlé très vite, j'ai repris mon calme, et j'ai commencé à faire quelque chose. D'abord, bien évidemment, ramener la malade à l'hôpital, et remettre à la disposition de l'équipe une ambulance très demandée. Ensuite, appeler un officier Israélien pour lui signaler l'arrestation de personnel du Croissant Rouge. Appeler des contacts dans la presse, un peu partout...

Quand ils ont été libérés, ils ne m'ont pas remercié pour avoir tenté d'empêcher leur arrestation. Ils m'ont remercié pour avoir fini le boulot en cours, pour avoir permis à un semblant de vie de continuer, et pour avoir déclenché des pressions externes dont ils pensent avoir bénéficié.

Et je crois que tout est là. Aller en Palestine, ce n'est pas pour jouer au héros, pour se faire peur, pour faire des actions d'éclat, des manifs. Si j'ai bien compris le message de mes amis palestiniens, la solidarité c'est le travail dans l'ombre, pas gratifiant. Je me souviens de cette irlandaise arrivée à la station d'ambulances de Jénine et qui a passé deux jours sans un mot à tout nettoyer, loin des gilets fluorescents du Croissant-Rouge.

Arpenter les allées du camp sous couvre-feu pour distribuer de la nourriture, plaider la cause d'une famille prise au piège d'une maison réquisitionnée, négocier le passage des ambulances, oui. Prendre des risques inutiles, parler à tort et à travers de révolution et de lutte armée, non.

Ne pas s'approprier les combats des autres. Les "pacifistes" ne font que passer. Les victimes restent. Pas de caméras dans la nuit moite quand les ambulanciers se déshabillent pour passer l'inspection sous le canon d'un char. Parce que les caméras, ça énerve les soldats. Ca crée des incidents supplémentaires. Et quand nous rentrons chez nous, le même ambulancier va devoir repasser le même checkpoint face au même soldat. Tous les jours.

Alors venir d'Angleterre se faire sauter à Tel Aviv, ça me répugne. Parce que ce sont mes amis à Jénine et ailleurs qui vont payer la note.

Mais, comme je le disais au début, tout le monde s'en fout...

Écrit par O. le 04 mai 2003 à 12:11
Réactions

Nous sommes nombreux pour qui cela n'est pas facile, non plus. Enfin, je l'espère
Amitiés

Mis à jour par Muriel le 04 mai 2003 à 15:07

Très touché, même ému par ton texte!
N'est-ce pas un profond sentiment de trahison que tu ressens, quand tu vois, lis, ou entends des gens qui prétendent agir pour les mêmes "causes" que toi; agir et induire l'inverse des effets souhaités.
Moi bien, et cette sensation est si forte qu'elle déclanche souvent une réaction disproportionnée.
Par contre tout le monde ne s'en fout pas.Ca non!

Mis à jour par Marc le 04 mai 2003 à 16:20

Pour l'"ignorance", ca a ses avantages et inconvenients. Tu as parle des inconvenients, laisse moi te parler des avantages. D'autant que je me sens vise par ta remarque, alors je la joue aikido.
Je n'ai pas envie de trop creuser les meandres de la psychologie palestiniens pour "comprendre" l'action d'un nihiliste. Parce que le comprendre c'est lui laisser du temps, et c'est meme le recompenser pour son acte qui se veut justement militant. Je veux le tuer, l'eliminer. Avec la vitesse et la certitude de l'ignorance.

Tu nous parles des conflits internes d'un Je qui se place dans le Nous. Olivier et la Cause Palestinienne. De quelque bord qu'on soit, il y a toujours plus extreme que soi, et quand on se retrouve assis a cote de cet indesirable on ne sait pas vraiment quoi faire. On est partage entre le desir de cohesion et le desir de s'affirmer. Chaque cause a besoin d'un groupe, mais chaque engagement est personnel.

Il y a cependant une difference entre ton groupe et le mien. Ta societe est celle d'une Opinion, tu peux resserer la fourchette au fur et a mesure pour etre en harmonie avec toi-meme: les kamikazes je suis contre, les militants qui se jettent devant les chars je suis contre, etc. La mienne est celle d'un Peuple, petit, vise dans son ensemble, et qui doit rester uni pour survivre. On choisit ses amis, on choisit pas sa famille, mais la famille c'est pour la vie. Je suis pas d'accord avec les ultra-religieux, ni les extreme-gauche, mais ils font partie des miens. J'imagine que c'est pareil chez les arabes palestiniens. J'en reste la, ca fait toujours tres politiquement correct de dire qu'on est tous pareil.

Mis à jour par boq le 05 mai 2003 à 00:06

et quand les européens mettent leurs nées dans les affaires des autres!!!!!!!!c'est le bordel.SVP ne parlez pas des choses que vous ne connaissez pas,c'est à vous que je parle...

Mis à jour par ABC le 25 avril 2004 à 23:49