Triangle vert...
Il me nargue. M'insulte, même.
Oui, m'insulte. Car il me jette à la tête les valeurs du monde, et du "Monde". Et ces valeurs, je les ressens comme une insulte.
Comme m'insulte la réflection de Daniel Day-Lewis, nominé aux Oscars, et qui s'interroge. Il se demande si c'est bien de faire la fête alors que "là-bas" des gens sont en train de mourir. Accordons-lui au moins ce mérite : quand il dit "des gens", il ne pense pas à ses "boys", ou du moins pas seulement. Et d'ailleurs la rumeur dit qu'il portera un signe de paix. C'est vous dire.
Mais alors, en quoi sa réflexion m'insulte-t'elle ?
Facile. La semaine dernière, il n'y avait pas de guerre en Irak, et donc, "là-bas", personne ne mourait. "Là-bas", pour moi, ne se limite pas à l'Irak. Des gens meurent en Cote d'Ivoire, au Tibet, en Tchétchénie, au Pakistan, en Palestine, bien sûr, en Israël, victimes de conflits armés plus ou moins connus. Mais je n'arrive plus à oublier les morts d'une autre guerre. Celle du CAC et de l'OMC contre tous ces pouilleux sans nom, avec des pays aux patronymes imprononçables. Celle des riches - dont je fais partie - contre les pauvres. La vraie guerre.
Cette guerre là se nourrit incestueusement de toutes les autres, et les entretient en retour. Cette guerre, c'est celle du petit triangle vert qui signale sur la page d'accueil du Monde que - enfin ! - les indices boursiers sont en hausse.
Le marché est rassuré. Les puits de pétrole sont intacts. L'année va pouvoir continuer sous le signe du petit triangle vert, qui n'a pour moi rien à faire en première page, du moins tant qu'on n'aura pas l'intention d'arrêter de parier sur le profit plutôt que sur l'humain.
"Where is Raed ?" a cessé de paraître depuis le bombardement d'hier matin. Son dernier post mentionnait l'arrivée prochaîne des B52. Rien depuis. J'espère que ce n'est que provisoire...
Ca ne fera la une d'aucun journal. L'humain ne compte pas. Seuls les chiffres. Obscène géométrie du dégueulasse quotidien, du pas raconté.
Le petit triangle des indices boursiers est un résumé presque trop facile.
Écrit par O.
le 23 mars 2003
à 12:29