29 janvier 2003
Journal d'un travailleur...

En l'an 2000, je travaillais.

Notez, je suis conscient que ça arrive à tout le monde, et qu'il n'y a pas de quoi en faire un plat.

Quoique... en l'an 2000, je travaillais chez des dingues.

Chez des tellement dingues que j'en ai fini par tenir un journal de ce qui se passait.

Je vous livre ce journal, tel quel, sans retouches...

Extrait :

Je m'appelle Olivier S. Mon nom doit rester secret pour ma sécurité. Personne ne sait ce dont ILS sont capables. Ce que je vous raconte ici, je le fais peut-être au péril de ma vie. Ce que je vous raconte ici, de toute façon, je le vis au péril de ma santé mentale. Quotidiennement, mon esprit est confronté à des événements auxquels il n'était pas préparé.
Ceci est le récit de mon immersion soudaine dans le monde brutal et impitoyable du travail. Enfin c?est comme ça qu'ILS appellent ça. Plus particulièrement, c'est du travail au sein d?une grande multinationale. Une multinationale filiale d'une autre multinationale, filiale, elle-même, peut-être, d'une autre multinationale. Je ne vous fais pas de dessin. ILS savent peut-être lire les dessins.

Je m'appelle Olivier S. Mon nom doit rester secret pour ma sécurité. Personne ne sait ce dont ILS sont capables. Ce que je vous raconte ici, je le fais peut-être au péril de ma vie. Ce que je vous raconte ici, de toute façon, je le vis au péril de ma santé mentale. Quotidiennement, mon esprit est confronté à des événements auxquels il n'était pas préparé.

Ceci est le récit de mon immersion soudaine dans le monde brutal et impitoyable du travail. Enfin c'est comme ça qu'ILS appellent ça. Plus particulièrement, c'est du travail au sein d'une grande multinationale. Une multinationale filiale d'une autre multinationale, filiale, elle-même, peut-être, d'une autre multinationale. Je ne vous fais pas de dessin. ILS savent peut-être lire les dessins.

Avant, j'étais un homme comme les autres. Avant qu'ILS ne me séduisent, puis me réduisent. A ce que je suis maintenant ; le jouet de forces qui me dépassent. Ballotté sur les mers glacées de l'absurdité, au gré de courants de folie, armé, en tout et pour tout, du pâle souvenir, vieille boussole sous un bulbe embué, de ce qu'est une vie normale, pour tenter de garder le cap. Mon vrai problème : ILS tiennent la barre, de toute façon.

Avant, j'étais un homme normal. Un chômeur, donc.

Pour être tout à fait précis, je n'étais plus tout à fait un chômeur, j'étais un Cédédé. Un Cédédé, c'est un type qu'on sort du chômage, avec pour seule perspective celle d'y revenir dans un avenir plus ou moins proche. Mais mon sort était quoi qu'il en soit relativement enviable. J'étais au quotidien en contact avec des gens normaux, qui râlaient quand il pleut (il pleut, parfois, dans mon beau pays à moi ?) et arboraient à la première éclaircie des sourires à un million de dollars, flottant plus qu'ils ne marchaient sur ce qui semblait être un bonheur cotonneux de vivre, et même de vivre là. De la vitrine, je voyais paresseusement couler une rivière, dans un paysage somme toute agréable. Mon brave bougre de patron me laissait quasiment toute latitude dans l'accomplissement de ma Tâche.

Je faisais des photocopies chez un reprographe.

Tout ça aurait pu durer des années. Pour pas cher, certes, mais dans un confort douillet. Et puis, sur la route du retour, ce point de vue extraordinaire sur tout le fond de la rade de B., en haut de la commune de PdB les Q. (Vous noterez que les noms des villes citées - ainsi que mon nom à moi et celui des autres personnes qui apparaîtront dans ce récit - ont été finement tronqués. Je ne sais si ça suffira à empêcher qu'ILS ne m'identifient, mais je sais que je dois parler. Le monde doit savoir.)

La séduction
Un beau jour, à mon retour, un courrier m'attend. Étrange, c'est un courrier de l'ANPE. Eux, ils vous écrivent rarement. Encore plus étrange, c'est? une offre d'emploi ! Si il y a bien une chose à laquelle je ne m'attendais pas de l'ANPE, c'était que les offres d'emploi viennent à moi d'elles-mêmes. Je m'estime déjà favorisé de pouvoir consulter les offres de chez moi à partir d'Internet sans devoir me déplacer chaque jour.. Et, étant un Cédédé, je continuais à consulter les annonces chaque matin, le brave N.L.C. ne parvenant pas à me donner une réponse ferme sur son intention de me garder. Ou pas.

Offre d'emploi, donc. Si j'avais su que c'était EUX? !

Alléchant, c'était. Tout ce que je voulais comme boulot. Le rêve.
Un p'tit coup d'fil. Le monsieur de la DRH. La quoi ? Direction des Ressources Humaines, qu'on m'explique. Déjà, ce monsieur que je n'ai jamais vu me tutoie. Bon, pourquoi pas. Et il me file un rendez-vous. Quelqu'un va venir me voir. Je les intéresse, ils me veulent, ça se sent.

Allez, Olivier, ton futur est entre tes mains, il faut réussir cet entretien !

Je me présente, comme convenu, à l'ANPE de B. (pour ceux qui ont raté le début, le nom des villes et des gens est habilement camouflé, et ce pour des raisons de sécurité ? la mienne.) Déjà, je constate que l'entretien a lieu dans la grande salle de réunion. Autre surprise, je suis accueilli à l'entrée par le directeur de l'ANPE en personne, le quel frappe à la porte de SA salle de réunion pour demander à mon interlocuteur s'il est prêt à me recevoir. Assez impressionnant.

Allez donc, celui-ci me tutoie aussi ! et il m'explique tout de go que je suis tenu d'en faire autant. Politique de la maison. A ce que j'en sais, pourtant, je n'en suis pas encore, de la maison ? et quelle maison d'ailleurs ?

Une grande maison. GRANDE maison. Tentaculaire, puissante, prospère, et cætera, et cætera. Et le salaire, et la prime de qualité, et la prime de vacances, et avec les trente-cinq heures, 10 semaines de vacances, et la grande Party annuelle où on peut manger avec le Patron lui-même en personne, et tout, et la mutuelle, et ? et,? et,?

Je croyais devoir me vendre pour obtenir ce boulot, et voilà que ce type essaie de me le vendre !
Je suis séduit.
Sans le savoir, j'ai mis le doigt dans l'engrenage?

Le hors d'?uvre?
Je suis embauché à compter du premier février, pour un établissement situé dans ma bonne ville de B.
Seul problème, cet établissement n'ouvre que le 14. Seulement comme ils me veulent absolument, et qu'ils ne veulent pas que pendant ces deux semaines je leur échappe, ils m'embauchent dès maintenant.
Je pose quelques questions : combien serons-nous, dans l'établissement de B. ? Combien sont déjà embauchés ? Est-ce que je rencontrerai les autres avant ? Qu'est-ce que je vais faire jusqu'au 14 ?

A ce jour, je suis le seul embauché. On ignore combien de personnes il faudra. Et jusqu'au 14, je vais aller dans un site parisien pour me former, acquérir l'esprit d'entreprise, m'imprégner des méthodes de travail, rencontrer les responsables, tout ça.

Suivent deux semaines à la capitale. Sur le site où l'on m'a envoyé, personne ne m'attend, personne n'a rien à me faire faire. J'erre de poste en poste, au gré de ma curiosité naturelle. J'examine les machines, les programmes utilisés. Je passe le temps, en bref.

Le dernier vendredi, enfin, je me rends au Siège.
Une description succincte s'impose. C'est un grand immeuble d'affaires, divisé en 4 secteurs, occupé par une pléiade d'entreprises. Dont la mienne, quelques unes de ses succursales, filiales, ou branches-mères.

Passée la cahute du gardien, muni de la seule indication : bâtiment B, deuxième étage. Arrivé au deuxième étage, stupeur : un long couloir mal éclairé avec quatre portes. Pas de panneau, pas de sonnette, pas ? de poignées de porte. Un gros boîtier noir à côté de chaque porte. De temps en temps, une porte s'ouvre. Un type ou une femme sort, s'approche rapidement d'une autre porte, présente devant le gros bloc noir le badge qu'il/elle porte (réglementairement ?) autour du cou, la porte s'ouvre, se referme, fin de l'épisode.
Amusant, un grand gaillard de quasi deux mètres, maigre comme un clou rouillé, obligé de se contorsionner pour présenter le badge devant le machin.

Mais personne ne s'arrête pour me demander ce que je fous là dans ce couloir avec mes sacs.
Finalement je m'enhardis, et je frappe à une porte, avec deux effets immédiats : le premier, c'est que je porte à ma bouche ma phalange meurtrie, et le deuxième, c'est que ça ne fait aucun son. Ces portes sont manifestement ultrablindées. Je retente avec la main, le coude, et en désespoir de cause, je flanque un magistral coup de pied dans la porte.


Elle s'ouvre :
- vous désirez ?
- je cherche Jacques D.
- Faites-vous annoncer à l'accueil !
- J'ai pas vu d'accueil ?
- Au 5ème.
Et la porte se referme ?

L'accueil au cinquième ? ? Sont dingues ici ou quoi ?

Et là, je rencontre le grand manitou à plumes. J'arrive dans son bureau, bla-bla, et puis on passe aux choses sérieuses. Il tourne l'écran de son PC vers moi, et fait défiler une présentation de la société. Image après image, il me répète le baratin écrit sur l'écran. C'est assez surréaliste. Il récite à la virgule près, m'assène des taux de croissance, des parts de marché, des pourcentages de marge. Il me dit que je rencontrerai le reste de l'équipe lundi matin à B.

Je repose mes questions ? pour apprendre qu'à ce jour, soit 4 heures ouvrables avant l'ouverture du site, je suis le seul embauché. Que le responsable de site doit arriver dans une heure pour son entretien.

Décollage
On est lundi matin, et je me dirige vers ? l'aéroport de B.

Hier, dans la journée, je suis allé reconnaître les lieux, histoire d'être certain de ne pas me mettre en retard. Arriver du premier coup. Right man in the right place. Le mec qui assure, quoi. Et puis dans la journée, un coup de fil : on me demande si je peux récupérer Thierry G. à l'aéroport. C'est le type qui m'a fait mon entretien d'embauche à l'ANPE. Bon, pourquoi pas, hein ?

Ma montre est formelle : 09h45. Qui plus est, la pendule de l'aéroport acquiesce. L'avion s'est posé depuis plus d'un quart d'heure. Je les ai tous regardés sous le nez, pas de Thierry G. J'ai beau ne pas être physionomiste, je suis bien persuadé que je ne l'ai pas vu. Mais bon, dans le doute, je vais au comptoir, et je demande à ce qu'on fasse un appel.

Aussitôt dit, aussitôt fait : monsieur Thierry G. est attendu à l'accueil.

Et toc, des deux extrémités de l'aéroport convergent deux types que je n'ai jamais vus. Si j'en crois mes sens, j'ai sur les bras deux Thierry G. putatifs, dont je suis persuadé, physionomiste ou pas, qu'aucun n'est le bon. Et pas d'erreur, les deux foncent bel et bien droit sur moi. Courage, Olivier, courage !

"Bonjour, je suis Michel M., je viens de Toulouse, comme mon accent l'indique certainement, et je suis garé en double file."

Ça commence bien. Le monsieur a laissé son Airbus en double file ?

"Bonjour. Je suis Serge P., et je viens de Rouen. Je suis garé en face."

Quelqu'un peut me dire pourquoi je suis venu à l'aéroport chercher deux mecs venus en voiture ?

Je me présente, vite fait, et je dis qu'il ne manque plus que Thierry G. Et là on m'explique qu'il a manqué son avion, et qu'il a appelé Serge P. dans sa voiture. Un peu secoué, je me fais expliquer qui est qui ;

Michel M. est mon chef de site. Embauché vendredi vers 19 heures, il a juste eu le temps de sauter dans un avion Paris-Toulouse, de rentrer chez lui faire quelques bagages, grimper dans sa voiture, et se faire Toulouse-B. pour être en poste lundi matin. Hôtel réservé pour 15 jours. Serge P. est un responsable de site confirmé de Rouen, et vient quelques jours épauler Michel M.
Un café rapido sur le zinc, puis chacun dans sa voiture, à la queue leu leu, direction l'usine.
Cette fois, c'est vraiment parti?

la longue maladie de Mireille (première partie)
Normalement, je ne devrais pas être dépaysé en arrivant. J'ai déjà tout en tête. On m'a montré les plans du bureau, là ma table, là mon PC, là les prises de courant, là et là les téléphones, le fax. Tout est prévu.

Une fois dans les lieux, c'est un peu ? différent. Dans mon bureau, il y a deux messieurs. C'est leur bureau, et ils ne sont au courant de rien. Voir à côté, peut-être.

A côté une grande salle vide, crade, avec des fils qui pendent.

Petite conférence avec Thierry G., finalement arrivé par l'avion d'après. On décide de me renvoyer chez moi, puisque manifestement je ne pourrai rien faire pour le moment.
...mais je suis payé tout de même, hein.

Le soir, chez moi, appel de Michel M. Il m'annonce qu'il y a « un gros problème ». Le client veut renégocier le contrat qui nous installe chez lui, et sa première exigence, c'est ? la suppression du poste pour lequel j'ai été embauché.

Moment de silence. Bon, on se voit demain et on discute de tout ça.

Et bonne soirée, hein !

Après une bonne soirée et une non moins bonne nuit, je me rends au bureau. Point sur la situation ; rien n'est prêt pour nous accueillir, tout est à renégocier. Est-ce que j'accepterais un autre poste que celui pour lequel j'ai été embauché ?

Ben voyons. Bon, voyons les choses en face, j'ai besoin de ce boulot. Je prends.

En attendant on me renvoie chez moi encore deux jours, le temps que les choses se mettent en place.

Enfin, le grand jour. Aujourd'hui, on commence ! On reçoit le matériel. Enfin, le principal. Notre outil de production : une énorme photocopieuse-imprimante. Un monstre. Elle est là. Près de 4 mètres de long sur un de large. Elle nous vient d'un autre site, à Paris. La maison mère, en fait.

Première constatation, cette machine est dégueulasse. A se demander comment le type qui bossait dessus avant faisait. Moi, j'aurais du mal.

Un technicien arrive pour la mise en route de la bête. Après une demi-journée de manipulations diverses, tant sur l'écran intégré que dans les entrailles mécaniques, il est prêt à appuyer sur le bouton vert. Trois, deux, un ?

Zéro est le mot qui convient.

Ça ne marche pas.

Appel à la Hotline. La Hotline c'est les types qui vous disent quoi faire quand ça ne marche pas. Que nous on les appelle, c'est normal. Mais qu'un technicien parfaitement qualifié soit obligé de les appeler, c'est que l'affaire est grave, me souffle Michel M., qui connaît bien le système.

Au soir de cette journée, on n'a pas avancé d'un poil. A demain !

Le lendemain, même scénario. Et le surlendemain aussi.

Pour comprendre mieux mon état d'esprit du moment, il faut comprendre que nous, les autres, les non techniciens (Michel M., Yannick T., mon nouveau collègue, et moi) nous n'avons rien à faire que regarder. Et pour attendre dans de bonnes conditions, nous avons deux chaises. Pour trois. Et pas de table.
Les deux semaines qui suivent se déroulent sur le même modèle. Le matin, le technicien arrive, constate que ça ne démarre pas, appelle la Hotline, reçoit toujours la même réponse, hausse les épaules, et fait ce qu'on lui dit de faire. Et ainsi de suite.

Il nous a avoué dès le troisième jour que cette panne le dépassait, et qu'il faudrait faire venir un spécialiste. Mais la décision doit venir de Paris.
En attendant, on s'occupe. Le client nous a refilé trois vieux bureaux de ses rebuts. A défaut de travailler, nous glandons assis.

Mireille, enfin !? ou presque ?
Mireille est toujours malade. Ce n'est pas une raison pour ne pas mettre en place le reste de l'infrastructure. Nous attendons, par exemple, depuis quelques jours, la livraison d'un PC et d'un serveur d'impression.

La saga du PC :
Mon PC, qui plus est. Avec les logiciels que je veux dedans, j'ai tout choisi moi-même. Que du soft de course. Avec ça, rien ne peut m'arriver, je me sens prêt à faire face à n'importe quoi.
Et comme tout finit par arriver, un beau matin, on nous livre le Grand Carton. Enfin les cartons. Enfin DES cartons. Je ne vois pas d'écran, par exemple. Bon, pour le moment, on pourra facilement s'en faire prêter un. Continuons le montage. Je vérifie vite fait que les logiciels sont bien là ; il en manque un, tout de même. Rien de crucial, à priori. Un, deux, trois, j'allume ! Ca démarre. Il est pré-configuré. J'aime pas trop, mais pour commencer, ça ira bien.

Allez, je me lance, j'installe mon premier logiciel. J'arrache le film plastique sur la boîte, je sors fébrilement le CD de sa boîte, et je l'insère dans le ?

Je refuse d'y croire.

Il n'y a PAS de lecteur CD sur la machine.

Coup de téléphone : bien sûr qu'il n'y a pas de lecteur CD-ROM ! Vous n'en avez pas commandé ! Oui, nous avons bien vu que vous aviez également demandé des logiciels qui s'installent avec un CD, mais bon, vous n'avez pas commandé de lecteur. Oui, bien sûr, on peut vous en envoyer un ! Une petite dizaine de jours, nous sommes en rupture de stock. Et pour l'écran, pareil ! A bientôt !

Allez, courage. Je démonte le lecteur CD du PC du chef (il faut que je vous parle du PC du chef, aussi), et je m'installe mes logiciels. Il y aura au moins un truc en état de fonctionner dans ce bureau.

La saga du serveur d'impression :
D'abord, il n'est pas arrivé à temps. Mais là, au point où on en est, personne ne s'affole. Nous finissons, après deux ou trois jours d'appels successifs, renvoyés de service en service, par localiser l'engin : « on » a oublié de passer la commande. Le serveur est donc, pour le moment, virtuel. Nous nous mettons en contact avec l'usine : ils le mettent en route, promis on l'aura sous 5 jours.

Notez que 5 jours, pour monter un ordinateur et mettre un logiciel dedans, moi je trouve ça beaucoup, mais il paraît qu'il faut ça. Et au bout de cinq jours, nous apprenons que la machine est arrivée à Nantes ! Plus que trois cent kilomètres ; un p'tit coup de camion, on devrait l'avoir dans l'après - midi, voilà ce que nous nous disions. Erreur ! Il faut passer par la plate-forme logistique ! Et elle est où la plate-forme ? Ben, en Irlande, voyons ! Et de là on l'envoie à Aulnay sous Bois, et là seulement on vous la met dans un camion. Procédure !

Personne ici n'est plus à deux jours près. Nous haussons les épaules, et nous attendons. Et enfin arrive une pile de cartons. Dessus, en gros, sur une étiquette jaune fluo, il y a marqué : DESTINATION : STRASBOURG. Nous, maintenant, on a fini de se lamenter : devant ce genre de trucs, on se marre. Paraît que l'ironie est la politesse du désespoir ?

Mireille, enfin !
Ça fait maintenant deux semaines que ce brave monsieur B. s'active autour de notre machine. Au fait, elle ne s'appelle pas encore Mireille. Mais elle a déjà un nouveau membre dans son fan-club ; on nous a enfin envoyé un super-technicien, de je ne sais où. Un pro, un vrai. Il démonte tout, analyse tout, mesure tout, nettoie tout. Et en deux jours, le diagnostic tombe : les déménageurs ont provoqué le choc de trop, abîmant la cage dans laquelle sont toutes les cs électroniques, le cerveau de la machine. Il en commande une nouvelle, et en trois coups de cuiller à pot, ça marche !!!

Ça y est, nous pouvons imprimer quelque chose !! Enfin ? dès que nous arriverons à faire marcher le serveur d'impression. En attendant, nous baptisons la machine Mireille, pour des raisons évidentes : il a fallu changer le cerveau pour qu'elle se mette à chanter.

Et le grand jour arrive : on vient nous mettre en route le serveur d'impression ! C'est que nous n'avons pas le droit de le faire nous-mêmes. C'est un ingénieur qui vient.

Et trois, même.

C'est à peine s'ils disent bonjour. A la limite, on s'en fout un peu. On les regarde s'agiter autour de ce malheureux serveur. Visiblement, ça ne se passe pas bien. En écoutant discrètement les conversations, on se rend compte rapidement qu'aucun d'eux n'a même jamais vu ce type de produit. Ils improvisent, guidés à distance par un autre pro, au téléphone. Trois petits tours et puis s'en vont en disant : « bon, ça marche ! »

Nous voilà bien avancés. A nous de découvrir le reste.

Premiers tests : c'est presque ça !! D'accord, le serveur n'accepte pas tous les types de fichiers prévus dans la doc, mais bon, ce n'est pas le plus gros de nos soucis. Le plus gros de nos soucis, c'est que pour chaque page imprimée, on a une deuxième page imprimée, pleine de messages d'erreurs, qui nous signalent, en gros, que la page que nous avons dans les mains ne s'est pas imprimée. Ah-ah.

Hop, appel aux professionnels. Eux n'ont pas ce problème. Ça doit être quelque chose qui merde dans notre installation, on n'a qu'à la refaire.

Inutile de vous dire qu'après avoir refait l'installation trois fois, j'avais un peu les crocs. Et après un énième appel aux professionnels de la hot-line, j'ai fini par découvrir le pot aux roses : chez eux, dans le centre de test, ils désactivent l'impression des messages d'erreur. Pas de message d'erreur, pas d'erreur !
Enfermés dans notre bureau, en tête à tête avec cette machine qui nous pond plus de bouses que de papier imprimés, la vache et les trois prisonniers, nous l'avons baptisée .

Pour faire bonne impression ...
Considérons, pour les besoins de la cause, qu'après tout ce que je vous ai raconté, nous étions enfin prêts à travailler. C'est à dire à imprimer et assembler pour notre client les classeurs de documentation qu'il nous demande. Ou plus précisément qu'au niveau technique, nous disposions une bonne fois du matériel dont nous avions besoin, et qu'il fonctionnait correctement. Ce n'était pas tout à fait exact, mais pour simplifier, admettons que nous étions prêts.

Et les premières commandes sont arrivées. Et nous voilà à l'?uvre, un sourire extatique sur nos visages illuminés de bonheur. Jusqu'à ce que ...

Pour faire des classeurs tels qu'on nous les demande, il nous faut des intercalaires. Ces intercalaires, spécifiques au type de machine que nous utilisons, sont spécialement fabriqués par une autre filiale de la grande multinationale à laquelle nous appnons, et elle est notre seul fournisseur possible pour ce produit.
Or, un beau matin, alors que notre stock d'intercalaires finissait de fondre, tomba la nouvelle : rupture de stock. Eh oui. Nous sommes dépendants d'un fournisseur unique, et celui-ci était en rupture de stock. Un cauchemar.

Pour tenter de pallier à cette situation, nous avons, par téléphone, fait le tour des autres sites du groupe. À force de mendier, nous avons réussi à obtenir ... deux boîtes d'intercalaires. C'est à dire le nécessaire pour une demi-journée de production. Au bout de la demi-journée en question : stop. Nous nous sommes à nouveau retrouvés réunis devant une machine silencieuse.

Protestations, démarches diverses et variées n'y ont rien changé. Il a fallu attendre trois jours, trois longs jours, pour que quelqu'un, le long de la chaîne, se souvienne que ces foutus intercalaires étaient bien fabriqués quelque part. Et, renseignement pris, ils en avaient, eux, les fabricants, des intercalaires. Comble de bonheur, l'usine se trouve à moins de trois-cent kilomètres de nous !

Victoire, triomphe ! Nous nous proposions déjà de sauter dans la voiture et d'aller chercher quelques précieuses boîtes ... mais ... la procédure allait faire valoir ses droits. Pour que les intercalaires arrivent de Nantes à B., il fallait qu'ils passent par la mythique plate-forme logistique.

À Dublin.

Comble d'ironie, nous avons fini par apprendre que notre fournisseur n'avait jamais été en rupture de stock. C'était une erreur de lecture. Ils en avaient, mais croyaient ne pas en avoir. Et personne n'avait pris la peine de vérifier.

Si seulement cela avait pu être la fin de nos aventures ...

où le narrateur abandonne la chronologie, et découvre l'écologie.
J'avoue, c'est trop dur. Je me souviens bien de tout, pourtant, mais je mélange parfois un peu les dates. Alors dorénavant, plus de référence de date.
Vous souvient-il cependant de cette période récente, pendant laquelle routiers, paysans et plus si affinités bloquaient les approvisionnements en carburant, voire dans certains cas (chez nous, naturellement...) les routes ? Parvenir jusqu'à mon lieu de travail était un enfer pendant ces journées.

Retenez ce détail, il va avoir son importance.

Figurez-vous que nous nous mêlons d'écologie, dans notre multinationale. Parfaitement. Voui môssieur. Nos cartouches d'encre, ou plutôt de toner, nous les envoyons à recycler ! D'ailleurs, à cet effet, on nous a remis une « écobox ». Une écobox, tout bien considéré, c'est... un carton. Mais il est blanc et il y a écrit en gros dessus « écobox », en vert. Pour vous dire à quel point c'est écolo, comme truc.

Et un beau jour, donc, notre écobox était pleine. Petit coup de fil qui va bien, et hop, arrive un gars qui empoigne notre écobox et l'enlève. « mais » lui demandons-nous, « vous ne nous en avez pas apporté une vide en échange ? »

Ben non. Les écobox vides, c'est un autre service. Alors nous avons téléphoné.

Et en pleine crise du carburant, alors que les alentours de la ville étaient bloqués par des manifestants et des bouchons abominable, est arrivé un camion spécial. Dans le camion, pour la plus grande gloire de l'écologie, il y avait... deux écobox vides.

Rien d'autre.

À la réception, ils en rigolent encore...

où le narrateur se fait mener en bateau
On m'avait prévenu. Une fois par an, on réunit tout le monde, tout le personnel, les chefs, les grands chefs, et les super chefs. Et même le GRAND chef. Et on fait connaissance, on discute, on bouffe ensemble, et on a le droit de poser des questions.

Et les cartons d'invitations sont arrivés. En couleur.
Je sais quelle question vous brûle déjà les lèvres : qui travaille pendant la fiesta ? La société arrête de fonctionner ?

Que nenni. Le Forum Collaborateurs (c'est le nom de la réunion) a lieu en trois fois. Trois dates, un tiers du personnel à chaque fois. Bien sûr, l'inconvénient c'est que les chefs doivent faire trois discours chacun. Mais ils sont prêts à se sacrifier. Sisi.

Trois dates, donc. Et chez nous nous sommes deux. On nous avait demandé de choisir notre date. J'avais pris un jeudi, et Yannick le lundi de la semaine suivante.

Premier présage, les deux invitations portaient la même date. Petit coup de téléphone, et on nous explique que pour les invitations, ils étaient en retard et qu'ils n'ont pas trop eu le temps de peaufiner. « Oui, mais », argumente Yannick, « on ne m'a pas envoyé mon billet d'avion ». L'agence de voyages qui nous gère s'est un peu trompée...

Notez c'est fréquent, chez eux. Et puis tout n'est pas perdu pour tout le monde, puisque dans l'enveloppe où aurait du se trouver le billet d'avion de Yannick, il y avait un billet de train, au nom d'un inconnu, qui devait partir de Lyon.... la veille du jour où nous avons reçu le billet. Ben tiens...

Toujours est-il, au sujet de ce billet d'avion, que Yannick a fini par le recevoir... le lendemain du jour où il devait l'utiliser. Ce qui fait qu'il n'est pas allé au Forum.

Et voici ce qu'il a raté...

Rendez-vous pris au bord de la Seine. Logique, puisque ça se passe sur une péniche. Louée pour l'occasion. Quand on paye des billets d'avion à près de 400 collaborateurs venus des quatre coins de la France, on peut bien louer une péniche. Trois fois. Pour nous y expliquer, à force de discours, que les marges réalisées ne sont pas suffisantes et qu'il faut augmenter le chiffre d'affaires et réaliser des économies.

Un billet d'avion entre B. et Paris coûte 2800 francs. J'admets que tous les collaborateurs ne viennent pas de si loin. Faisons une moyenne de 700 francs par personne pour le transport... voyons... 400 que multiplie 700, (ça fait tout de même 280 000 francs) plus 400 repas, plus trois journées de location de péniche sur la Seine, plus 400 journées de salaire payées pour des gens qui ne travaillent pas puisqu'ils sont au Forum... et tout ça pour nous dire de faire des économies ?
Le cauchemard continue...

dans lequel le narrateur découvre l'univers impitoyable de la Qualité
Le mois dernier, mon collègue et moi n'avons pas perçu notre prime qualité. La prime qualité (que nous nommerons PQ ? eheh), j'en ai entendu parler lors de mon entretien d'embauche. J'avais tendance à considérer ça comme une bonne chose, en soi : incitation à une production de qualité, et plus, si affinités. Le plus en question étant une somme d'argent non négligeable. En moyenne, tout employé de l'entreprise touche cette prime 11 mois sur 12.

Et le mois dernier, on ne l'a pas eue.

Et moi, je trouvais ça particulièrement injuste, puisque nous n'y étions pour rien. Encore un coup de Mireille, qui nous a fait le coup de la panne du vendredi. Du coup, livraison en retard le lundi. Du coup, zoup la prime. Alors que ça fait des mois qu'on réclame une seconde machine, en partant de l'idée qui nous paraissait simple à comprendre que, si il est assez facile d'admettre qu'une machine peut tomber en panne, il est en revanche statistiquement tout à fait improbable que DEUX machines tombent en panne en même temps.

En gros, nous prétendions que, puisqu'on exige de nous un certain niveau de performance, on doit nous en donner les moyens.

Et vendredi on est venu nous expliquer qu'on n'avait rien compris. L'obtention de la PQ se fait d'après tout un tas de critères. Parmi ces critères, il y a ? effectivement ? la qualité de notre travail. Mais aussi, par exemple, la qualité du travail de notre chef. S'il ne remet pas, par exemple, le rapport mensuel d'activité à temps, nous perdons notre prime. Mais pas lui. Et si le chef de notre chef n'a pas fait son travail (par exemple en nous donnant les moyens de livrer en temps et heure quoi qu'il arrive), nous sommes pénalisés. Mais pas lui.

Et puis, d'abord, il ne s'agit pas d'une prime qualité. Cette prime ne mesure que la satisfaction du client. Point. Client content, prime. Client pas content, pour cause de retard, de non qualité, de hausse du prix du cervelas, de migraine de sa femme; pas prime.

Ok. Nous avions compris cette fois. Suffit de changer le nom. Prime de satisfaction du client. Et là on ne peut plus en vouloir à qui que ce soit de ne pas la percevoir, hormis au client. Bien joué. Le client est un salaud, et nos chefs tentent de nous protéger, louons-les avec de grandes louanges.

Sauf que... en creusant un peu... cette prime est majorée ? ou minorée, ce qui est le cas ce mois-ci, en fonction de ... l'évolution du chiffre d'affaires.
Maintenant il va falloir m'expliquer en quoi le chiffre d'affaires est lié à la satisfaction du client.
Pourquoi ai-je l'impression qu'on se fout de moi... ?

Écrit par O. le 29 janvier 2003 à 09:43
Réactions

c est moi cédédé!!!!!!!!!

Mis à jour par cédédé le 25 novembre 2003 à 11:51