20 décembre 2002
Tous les (bons) goûts sont-ils dans la nature ?

Pour une fois que l'écriture suit la parole...

Au cours d'une discussion avec P. l'autre jour, est sortie la question suivante : est-ce qu'il existe un absolu en matière d'art, de goût, de valeurs ?

Pour les valeurs, ça paraît simple. Tout le monde s'accorde à dire que faire souffrir des gens pour rien, laisser souffrir des gens quand on pourrait y faire quelque chose, c'est mal. Et pourtant, l'histoire passée, présente et future est pleine de trucs que tout le monde trouve « mal » et pourtant pratiqués massivement, quotidiennement.

Est-ce qu'il existe un moment où « ce n'est plus de l'art » ? Est-ce qu'étendre des carrés de tissu rouge par terre, c'est de l'art ? Les anciens avaient défini des choses comme l'harmonie, les proportions idéales, avec le nombre d'or et tous ces trucs là. Maintenant, c'est de l'art, puisque ça se vend... et j'ai peur de toucher là le fond du problème.

Il me revient en mémoire une de télé que j'ai vue récemment, qui racontait la naissance de MTV, en pleine époque de ce qu'on appelait dans ce temps là le « rock FM ». Et il y avait une séquence totalement frappante : on y voyait un type qui nageait dans le succès à l'époque du rock FM, et qui a disparu du jour au lendemain quand MTV est arrivé. Ce type s'appelait Christopher Cross, et il était gros. Passablement laid aussi.

Il faisait de bonnes chansons, qui faisaient un malheur à la radio, et... plouf. Plus là.

Alors... qu'est-ce qui nous fait trouver de la musique bonne ? La question exacte serait : «est-il imaginable que notre mode de vie (par exemple MTV avec tout ce que ça représente de commercialisation de la musique) puisse faire trouver «bien» par une majorité de gens une musique qui soit au mieux insignifiante... ? Et existe-t-il des critères qui permettent de définir une bonne musique ?»

Est-il imaginable, pour poser la même question autrement, qu'un simple système économique (la marché de l'art) puisse s'autoentretenir en alimentant le (justement) marché par des trucs n'ayant aucun rapport avec de l'art si ce n'est de répondre au seul critère du marché de l'art revu par notre monde : ça se vend... ?

Le problème, c'est que si le bon sens m'invite à dire que bien sûr, chacun voit midi à sa porte, que il en faut pour tous les goûts et tout ça, il y a une part de moi, en entendant certaines choses, qui proteste et qui hurle «mais tu entends bien que c'est mauvais ça !». Pour l'art, c'est peut-être le blaireau en moi qui parle, mais un rectangle jaune sur un mur, ou des flacons pleins de boulons, ça ne me parait pas qualifier pour l'art...

Distinguons, d'ailleurs, entre «mauvais» et «non bon», ou «pas bon». Pour ce que ça apporte au débat.

Tenez : Whitney Houston... excellente chanteuse pourrie de talent s'il en est, a commis un duo avec Enrique Iglesias (lequel a de qui tenir...) que je trouve, malgré tout le bien que je pense de la petite Whitney, nul. Ce n'est pas que je n'aime pas. Mais je le trouve intrinsèquement nul, ce duo. Sans savoir expliquer. Mais j'en suis certain. Pas de goût, pas de saveur, rien... J'attends encore que Céline Dion me fasse de l'effet, aussi.

Alors vous allez me dire qu'elle fait de l'effet à d'autres.

Mouais. Mais est-ce que c'est parce qu'elle fait de la bonne musique, ou bien est-ce que c'est qu'elle répond à des critères de notre monde qui puissent être différents des critères de l'art ? Si ils existent ?

Bref, je sais pas. J'en sais rien.

Mais je pense qu'il y a une bonne question là-dessous.

Écrit par O. le 20 décembre 2002 à 15:00
Réactions
Bonne question, oui, mais attention aux mauvaises réponses ! Elles peuvent avoir des conséquences incalculables.

Exemple historique : en 1995-98, un grand débat public a eu lieu entre, en gros, les USA et leurs satellites d'un côté, la Communauté Europénne (entraînée par la France - cocorico) de l'autre, sur la question de l'exception culturelle. En gros, la question était la suivante : "Les produits mobiliers de la culture -musique, films, sculptures, tableaux, livres ... -sont-ils des marchandises commerciales comme les autres, qui peuvent être achetées, revendues, promues, taxées, côtées en bourse, interdites pour leur nocivité, réglementées pour protéger le consommateur, etc, ou bien doit-on les considérer comme bien commun de l'humanité, dont seuls les amateurs sont à même de fixer la valeur ?

Aucun accord n'ayant été trouvé, les productions culturelles n'ont pas le même statut des deux côtés de l'Atlantique. Mais rien n'est gagné, on est en plein dans le débat sur la mondialisation du libéralisme triomphant. Si le beau se vend, c'est une marchandise comme une autre.

Il faut donc d'abord mettre les mauvaises réponses ... au clou !

On attend de bonnes réponses.

Mis à jour par Yves le 20 décembre 2002 à 15:35

Bonjour Yves,

Merci pour les textes, avec ou sans clou. C'est superbe.

Je n'ai pas de bonne réponse. Peut-être une piste: "les goûts et les couleurs..." ...justement ça se discute.

Mis à jour par Aïcha le 20 décembre 2002 à 17:53

Très compliqué tout ça... C'était plus simple les clous ! Pour aller dans le sens d'Olivier, je n'ai jamais vibré devant une planche de chantier pourrie ornée d'une vieille éponge, d'un vieux pinceau, et d'un chiffon dégueulasse mais c'était exposé au Grand Palais (Paris) et signé : Tapiès. (allez-y hurlez... de rire j'espère) je lui préfère (comme oeuvre d'art) les jardins en terrasse du Yémen cultivés par les paysans, je ne suis pas sensible non plus à Céline Dion, je lui préfère le cordonnier capverdien jouant du Cavaquino, le policier chanteur et le conducteur d'aluguer (transport en commun) à la guitare. Mais effectivement, comme le dit Aïcha, les goûts et les couleurs...
Bonnes fêtes à tous.
Muriel

Mis à jour par Muriel le 20 décembre 2002 à 19:24