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10 décembre 2002
N'importe quoi...
Des fois je me demande. Je commence à écrire sans avoir rien à dire. Juste parce que j'ai envie d'écrire, de poser mes doigts sur le clavier et de regarder les caractères s'aligner sur l'écran.
Si j'ai un peu de chance, ça se structure au fur et à mesure. Un fil directeur vient, d'abord en pointillés, puis parfois en tellement gros que j'en perds - si j'ose dire - le fil de ce que j'étais finalement décidé à dire. C'est flagrant quand je relis des choses que j'ai écrites.
Parce qu'en fait je ne relis jamais avant d'envoyer. Ca sort comme ça arrive. De très rares fois, je triche et je chance un mot ou deux.
Un mail d'un ami, puis une discussion sur la même question avec P., et je me creuse la tête : il y a à ce qu'il paraît un écrivain en moi, ce dont je ne vais certainement pas me plaindre. Le problème... c'est que lui et moi on n'est pas tout à fait les mêmes, à ce que G. et P. disent. Lui et moi on ne parle pas tout à fait des mêmes choses, et pas de la même façon.
Notez que sur ce point, au moins, ça ne me surprend pas plus que ça. J'ai beau ne faire aucun effort pour créer une différence entre mon langage parlé et mon langage écrit, je suis bien convaincu qu'il y en a une. Et puis souvent, écrire me permet de structurer ce que je pense, m'oblige à mettre des mots là où souvent je me contenterais des émotions incluses. Alors je suppose qu'il est facile de constater que souvent mes opinions (profondes... ?) sur tel ou tel sujet se trouvent d'abord écrites avant de se trouver prononcées.
Est-ce que ça veut dire que celui qui écrit est différent de celui qui parle uniquement parce que celui qui parle utilise les mots trouvés, au pied de la page, par celui qui écrit ?
... parfois écrire me sert à penser. C'est peut-être n'importe quoi...
Écrit par O.
le 10 décembre 2002
à 01:00
Ecrire me sert personnellement à véhiculer des choses (à défaut d'un autre mot) que j'ai en moi. Ceci, quelques fois vers les autres, plus rarement directement pour moi-même. Ca me permet, évidemment, de les transmettre à ceux qui voudront les lire -- moi, qui sait, ou ceux à qui ils sont destinés. Ca me permet aussi de figer des mots dans le temps, des mots que je prononce aujourd'hui -- ou que j'écris -- mais dont je ne me souviendrai pas forcément plus tard, ou qui n'auront plus le même sens. Ils donneront peut-être un sens à ce que je vis à ce moment-là.
A une époque, la lettre était pratiquement le seul moyen de converser avec des gens lointains; pour exemples Voltaire, Madame de Sévigné ou, plus récemment Truffaut et Hitchcock qui avaient pourtant le téléphone et l'avion. Ces dialogues épistolaires, pourtant destinés à une seule personne, ont été édités et lus par des millions de gens. Aujourd'hui, il y a l'e-mail. J'écris beaucoup, même à ceux que je croise fréquemment, qui habitent à quelques rues de chez moi, ou à ceux qui, comme O., vivent un peu plus loin. On verra peut-être, plus tard, des dissertations sur ces e-mails ou sur des commentaires de weblogs... Les écrits ont la puissance de la pérennité.
J'ai pourtant du mal à écrire, à essayer de donner aux mots la forme que je veux qu'ils prennent pour leur insuffler la vie la plus précise, celle qui les a fait naître. Pour ne pas les faire mentir. Et chez moi, c'est comme pour le thé, il faut que ça infuse. Alors je relis. Beaucoup. Pas seulement pour les fautes -- j'en fais encore trop -- mais surtout pour le fil, la substance -- puis aussi pour le feel, l'apparence. La forme qu'ont les phrases, leur musique, la résonance des mots; ce sont les moyens de rendre le message qu'ils contiennent plus accessible, plus beau parfois; c'est comme un sourire, ou une larme.
J'ai néanmoins écrit des textes au kilomètre, sans vraiment y réfléchir, juste pour voir les mots qu'il y a dans ma tête. Il y a quelque chose de jouissif -- quand on tape sur un clavier avec une certaine aisance -- à voir les mots se former tout seuls, jaillir des doigts qui savent où se poser pour les faire apparaître, déroulant une histoire quelques fois surprenante, souvent ridiculement banale, ou alors trop profondément enfouie, à la limite du malaise. Le stylo, lui, est terriblement lent, par rapport, mais garde des traces des sentiments auxquels les petits caractères mécaniquement dessinés sur l'écran ne peuvent pas prétendre.
Ecrire, enfin, c'est prendre un risque. Le risque de se tromper, le risque de heurter, le risque d'être incompris, le risque d'être lu, le risque d'être apprécié, le risque de faire rire (et c'est un risque que j'aime bien), le risque -- juste là, après avoir relu -- qu'on trouve ce texte pompeux et un peu vide -- mais c'est sans doute parce qu'il est tard. Finalement, pourquoi est-ce que j'écris, honnêtement? J'écris parce qu'à ce moment là, au moment où je pousse de mes doigts les mots sur l'écran, sur le papier, quel que soit le risque, je ne suis pas seul.
Ce n'est pas le même cerveau qui écrit et qui lit.
La linguistique apprend que tout ce qui est dit peut être contredit.
C'est le risque fondamental de l'oral : à part les situations rares de vrai monopole de la parole (un dictateur s'adressant à une foule au micro, par exemple), celui qui prend la parole court le risque de devoir affronter un contradicteur. Seul le silence ne peut être contredit. Certains caractères seront déstabilisés par la contradiction, ils se sentiront agressés. Ceux-là inventeront des stratégies pour se protéger des contradicteurs, mais auront du mal à oraliser tant que ces statégies ne sont pas au point, ou qu'ils n'auront pas confiance en elles.
D'autres (je crois que c'est le cas de Gemp ci-dessus) auront recours à l'écriture - c'est une des stratégies évoquées plus haut - mais ils encourront alors d'autres risques, que Gemp énumère aussi (par contre c'est avec pertinence qu'il n'évoque pas le risque d'être contredit).
Mais le problème de l'écrit c'est que : "Les écrits ont la puissance de la pérennité". Un dicton rappelle que "Les paroles s'envolent, les écrits restent".
C'est pourquoi l'écriture est une drogue. C'est pourquoi aussi il faut qu'Olivier grave sa chronique sur le papier. Pour durer.
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